Le général Ghediri, trouble fête ou pantin ?


PRÉSIDENTIELLE EN ALGÉRIE


Le “jeu de rôles” des présidentielles est perturbé par l’irruption d’un sérieux candidat, le général major Ali Ghediri. La junte militaire fait tout pour lui barrer la route .

Abdelaziz Bouteflika, président sortant, sollicitera donc un cinquième mandat, le 18 avril 2019, agenda retenu pour ce scrutin. Ce n’est pas, évidement, une surprise. Et les gesticulations de ses soutiens depuis des mois n’étaient pratiquement que de l’enfumage. Aucune surprise. Les Algériens ne sont pas dupes et se désintéressent en majorité d’un jeu politique où ils n’ont pas voix au chapitre, sauf à bouder davantage les urnes dans deux mois. R.A.S dans le pays voisin? Pas vraiment. C’est qu’en effet voilà un exercice de rôles –comme ce fut le cas depuis 1999– qui est, cette fois, perturbé par l’irruption d’un militaire, le général major Ali Ghediri, dans la compétition présidentielle. Ce qui a conduit à une guerre faisant rage entre lui et le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée et vice-ministre de la Défense nationale. Par voie de communiqués, ils ont ainsi nourri l’actualité des dernières semaines.

“La deuxième République”
Ali Ghediri a été la cible d’un richissime député de Annaba, Baha Eddine Tliba dans certains médias et réseaux sociaux. C’est le premier axe du plan concocté par les partisans du général Ahmed Gaïd Salah. Il est complété par d’autres opérations comme le rejet de la candidature du général Ali Ghediri par le Conseil constitutionnel. Après le décès du président de cette institution, Mourad Medelci, le 28 janvier 2019, l’idée est d’obtenir la nomination de l’actuel ministre de la Justice à la tête de celle-ci, et ce pour écarter le candidat Ghediri. Or, ce dernier a déjà réuni, dès le 1er février, plus que les 60.000 signatures exigées par la loi. Parmi les quelque 170 candidats à la candidature, il est le seul à avoir franchi cet écueil en un temps record.

Preuve, estime-t-on, que sa candidature a bien un caractère sérieux et qu’il a des «troupes» derrière lui… Agé de 65 ans, né dans la ville minière d’Ouenza, près de Tébessa, à la frontière tunisienne, Ali Ghediri a rejoint, après ses études secondaires, l’Académie interarmes de Cherchell, avant de rejoindre l’Académie navale de Saint Petersbourg puis l’Académie militaire de Moscou. En 1983, il intègre les forces navales puis les forces terrestres de l’ANP.

Promu général major en 2000, il a été nommé directeur central des ressources humaines au ministère de la Défense avant de prendre sa retraite en 2015. Il était pratiquement inconnu du grand public; mais, au sein de l’armée, il était au coeur de l’institution par suite de ses fonctions. Il n’est sorti de la réserve qu’à la suite d’une lettre en date du 22 novembre 2018 informant ses pairs de son intention de se présenter à l’élection présidentielle, un acte finalisé le 19 décembre. Que veut-il? Ce qu’il appelle «la deuxième République». Un slogan? Un projet de société?

En tout cas, pas pour une normalisation des relations avec le Maroc. Ainsi, il considère que «le problème de la réouverture des frontières n’est pas le plus important, il faut édifier le Grand Maghreb». Incohérence… Une posture de circonstance pour déclasser un système failli après plus d’un demi-siècle? Il s’en est expliqué dans des interviews à la presse ainsi que lors du Forum du journal Liberté, dimanche 27 janvier. «Je pars pour gagner», a-t-il tonné dès le début.

Pour une refondation démocratique
Et d’expliquer ensuite que «le problème fondamental de l’Algérie n’est pas économique mais fondamentalement politique». L’origine des maux serait la «corruption politique» et il peut en parler aujourd’hui, n’étant plus astreint à l’obligation de réserve, et jouissant des «lois de la République et de la Constitution, qui me donnent toutes les libertés». Il a fait le procès de l’élite, qui a été absente, ainsi que des «opportunistes qui ont pris les devants et sont arrivés à nous humilier». Il a aussi revendiqué «la rupture sans reniement» et ce en mettant à plat tous les problèmes sauf les constantes de la Nation. Il se prononce pour une refondation démocratique, sur la base d’une reconfiguration institutionnelle: le projet est celui d’une société moderniste rompant avec l’autoritarisme, la rente, le clientélisme.

Que représente-t-il? Et quelles sont ses chances éventuelles? L’hypothèse dominante qui prévaut quelque deux mois avant le scrutin présidentiel du 18 avril est que le candidat Bouteflika sera de nouveau élu. Mais la situation actuelle restera-t-elle en l’état d’ici là, ne serait-ce que compte tenu de la détérioration de l’état de santé de ce dernier, de nouveau hospitalisé à Grenoble, à la deuxième moitié de janvier?

Ghediri a-t-il le soutien de l’armée? Non, mais certainement d’une partie d’entre elle –13 officiers supérieurs ont d’ailleurs été sanctionnés par le général Ahmed Gaïd Salah pour avoir eu des contacts avec lui. A-t-il l’appui de l’ex-patron des services secrets algériens (DRS), dirigés jusqu’à septembre 2015 par le général Mohamed Mediene, dit «Toufik»? Ghediri reconnaît qu’il a eu des rapports fonctionnels avec lui au département de la défense et que ce dernier n’est pas son référent: «Mon point d’appui, c’est le peuple», a t-il précisé. Il a, par ailleurs, le soutien d’Issad Rebrab, première fortune d’Algérie, ainsi que de milieux économiques et financiers inquiets de la crise actuelle.

Le front du boycott
L’on y verra sans doute plus clair dans les prochaines semaines, d’ici le dépôt des candidatures le 3 mars puis lors de la campagne électorale. Du côté de l’opposition en tout cas, le front du boycott s’élargit avec le FFS, le RCD et le Front de la Justice et du Développement (FJD), précisé par Abdallah Djaballah. Mais, du côté de la mouvance islamiste, ce processus électoral est validé par Amar Ghoul, président de Tajamou Amal El-Jazaïr (TAJ), et Ghouini Filali, du parti Islah. Quant à Abdelkader Bengrina (El Bina) et Abderrazak Makri, du Mouvement pour la société et la paix (MSP), relevant de ce même segment, ils n’écartent pas leur candidature. Le scrutin présidentiel du 18 avril va-t-il s’inscrire dans une glaciation brejnévienne qui va se prolonger? Ou bien va-t-il provoquer l’exacerbation et la cristallisation autour de dynamiques non maîtrisées porteuses de toutes les incertitudes?.

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