LA POULE AUX ŒUFS D'OR

Abdellatif Mansour

"le prof miracle" est à la tête d’un réseau de garage-classe.

Les environnements les plus critiques et les situations les plus insupportables, on peut s’en offusquer au plus haut degré d’indignation. Mais tant qu’il est possible, pourquoi ne pas faire pire, en tirer profit, au détriment de tous? C’est précisément à ce cheminement primaire, mais combien lucratif que Mehdi Meniar, appelé «le prof miracle» s’est employé. Il a choisi un créneau de très forte demande, les heures supplémentaires pour les élèves, abusivement dit de renforcement. Un fourre-tout où l’on fait plus de bourrage de crâne que d’initiation à la réflexion critique. Mehdi Meniar a fait mouche. Son projet est parti en flèche. C’est l’enseignant par qui la réussite scolaire est garantie, depuis les petites classes du primaire au sésame d’un baccalauréat agrémenté d’une très forte moyenne.

Ce pot aux roses, qui sent mauvais, a finalement été démantelé, le jeudi 24 janvier 2019, par le ministère de l’Éducation nationale. Dans leur naïveté absolue, les parents ne demandent pas plus que de se décharger du fardeau de la scolarité de leur progéniture. De tous les établissements d’enseignement public de Casablanca et d’ailleurs, on vient vers «le prof miracle». Pour y avoir accès, il suffit d’alléger sa bourse de 250 à 500 dirhams mensuels. Ce tarif peut paraître abordable pour les parents payeurs. Pour M. Meniar, c’est carrément la poule aux oeufs d’or. Comme d’habitude dans pareille aventure à partir de peu, c’est dans les quartiers populaires qu’il trouve le plus de répondants. Il s’y incruste. Son projet a non seulement pris racine, mais il se trouve à l’étroit et ne demande qu’à s’agrandir sur d’autres espaces nationaux.

Il va jusqu’à louer des garages et des appartements d’une exiguïté extrême pour répondre à la demande. En somme, l’enseignement privé dans sa facette la plus négative. L’inquiétude des enfants et la détresse des parents exploités jusqu’à la moelle. Puisque l’affaire a le vent en poupe, pourquoi ne pas s’exporter ailleurs? Toujours à l’affût d’ouvertures prometteuses, M Meniar ouvre des succursales un peu partout au gré de la surface du grand Casablanca. Il devient, à petit frais, une sorte de magnat d’un enseignement privé à la baisse en terme de contenu et de qualité de transmission du savoir. Le «prof miracle» n’a pas lancé son commerce dans la clandestinité. Rien qu’une dizaine d’enfants par séance, cela fait du bruit et attire l’attention du côté d’un garage que l’on croyait réservé aux fabriques clandestines de textiles ou comme souk de moutons de l’aid el kebir.

Ceci pour dire que l’activité de Meniar était de notoriété publique. «Le prof miracle» a toujours donné l’impression d’être un peu trop sûr de son fait, particulièrement dans son rapport avec son administration de tutelle. Un détail de taille dont il n’a pas trouvé nécessaire de s’acquitter pendant des années. À quel prix! Comment peut-on passer sous silence une énormité pareille? Troublant. Mehdi Meniar n’est même pas un «moul choukara» (un investisseur reconnu comme tel). La choukara, il n’y en avait pas. Il l’a construite chemin faisant en exploitant les failles du système éducatif. Encore mieux, lui et ses semblables à la prospérité démonstrative, n’ont aucun intérêt à ce que l’enseignement public change pour le mieux. Effectivement, il n’a pas changé.

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