Le Maroc et la cause kabyle : Faut-il soutenir l’indépendance de la Kabylie?


Avec ou sans le Royaume, le peuple kabyle existe déjà. Mais il est sûr qu’avec un appui plus officiel de Rabat, sa voix pourrait davantage porter à l’internationaL Mais faut-il que la partie marocaine franchisse ce pas?

“Il y a un peuple qui existait avant l’État algérien et qui revendique depuis des décennies son droit à l’autodétermination: le peuple kabyle. Vous lui refusez ce que vous voulez offrir à des citoyens qui revendiquent leur marocanité.” C’est par ces mots que, ce 27 septembre 2023 à la tribune de l’Organisation des Nations unies (ONU) à New York, le représentant permanent du Maroc auprès des instances onusiennes dans la Grosse Pomme, Omar Hilale, répond à son homologue algérien, Amar Bendjama, auteur la veille d’un long laïus en faveur de la séparation du Sahara marocain.
Le discours, on le sait de la propre bouche de M. Hilale, avec qui Maroc Hebdo a brièvement échangé, a “été improvisé pour la circonstance” -le diplomate marocain n’a d’ailleurs pas voulu s’y attarder davantage-, mais il présente l’intérêt suivant qu’il pose encore une fois sur le tapis la question de la cause kabyle au plus haut niveau international.

Identité unique
Et c’est plus précisément à remettre au crédit du Maroc, premier voilà déjà près d’une décennie à tenter vraiment de porter les yeux du monde sur le sort de la Kabylie, cette région géographique de l’actuelle Algérie dont le peuple revendique depuis l’aube des temps une identité unique et même, de plus en plus au cours des quelque vingt dernières années, un caractère national.

Dans l’interview exclusive qu’il nous accorde, le président du gouvernement provisoire kabyle en exil, Ferhat Mehenni, parle d’ailleurs ouvertement de “constance” de la part du Royaume. Mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire? Et, plus concrètement, qu’est-ce que cela implique vraiment? Pour poser la question de façon plus directe: le Maroc soutient-il, oui ou non, l’indépendance de la Kabylie? On peut sans doute d’emblée balayer cette interrogation en revenant à une déclaration intéressante qu’avait donnée l’ancien secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD), Saâd Eddine El Othmani, du temps où il dirigeait encore le gouvernement.

Invité, fin août 2021, à un programme de débat organisé par le journal électronique “Hespress”, le leader islamiste avait indiqué que l’invocation par le Maroc de la question kabyle ne saurait être que “rhétorique”, dans un contexte où l’Algérie venait tout juste de prendre la décision d’une rupture des relations bilatérales entre autres en raison d’une prise de position, quelques semaines plus tôt, de M. Hilale en faveur du “peuple kabyle, l’un des peuples les plus anciens d’Afrique, qui subit la plus longue occupation étrangère” (M. Hilale avait dans le même contexte affirmé que “le vaillant peuple kabyle mérit[ait], plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination”).

En partisan de la réunification de la Oumma islamique au-delà des territoires étatiques qui la divisent aujourd’hui, M. El Othmani exprimait sans doute aussi, et peut-être en premier lieu, une conviction personnelle, mais c’est à l’évidence également le cas que dans le cercle de décision marocain, on n’en pense pas moins. “Pour vous répondre tout simplement, non, il n’est question d’aucune reconnaissance de la Kabylie en ce moment”, nous confie une source diplomatique jointe par nos soins, sans toutefois vouloir nous en dire plus.

Intégrité territoriale
Et il est vrai que la chose peut s’entendre: comme le rappelle le spécialiste en droit international Mohamed Tajeddine Houssaini, grand suiveur de la politique diplomatique nationale depuis plusieurs décennies, “le Maroc n’a jamais soutenu de mouvements séparatistes ou sécessionnistes.” “Le Maroc a une position de principe, qui est celle du respect de l’intégrité territoriale des Etats. Et si on se met aujourd’hui à soutenir les Kabyles, on aura également par la suite à soutenir les Touaregs, les Mzabs et qui sais-je encore. Cela peut aussi donner des idées à certains de chez nous. Donc, à mon avis, il ne faut pas se prêter à ce jeu-là. Il faut que de son côté l’Algérie soit plus raisonnable et se rende à l’évidence que le Sahara est marocain”, commente M. Houssaini. Mais en même temps, les différentes sorties de M. Hilale à propos de la Kabylie sont ce qu’elles sont et ne peuvent, de toute évidence, être éludées.

En effet, elles laissent la voie ouverte à un soutien marocain officiel, d’autant plus qu’elles se répètent, depuis deux ans, à intervalle régulier (outre le 27 septembre, M. Hilale s’était également exprimé sur le sujet kabyle en juillet 2021, en août 2021, et l’avant-dernière fois en juillet 2022). Ce qui pourrait éventuellement pousser le Maroc à enfin se décider à s’engouffrer dans la brèche, c’est le constat suivant que de l’autre côté de l’oued Kiss, l’Algérie rêve seulement de poursuivre l’entreprise de coupe réglée qu’elle intente à son voisin de l’Ouest depuis près de 48 ans au niveau du Sahara marocain et qui aurait sans doute également débordé sur d’autres régions, comme notamment le Rif, n’était l’attachement indéfectible de ces dernières à leur marocanité et au trône alaouite qui les unit.

On l’avait vu avec les déclarations d’octobre 2022 du secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), le grand parti de la junte militaire au pouvoir à Alger, Abou El Fadhl Baadji, beaucoup de dirigeants algériens ne manqueraient sans doute pas d’annexer Oujda ou Guercif à leur pays s’ils en avaient l’opportunité -leur expansionnisme, qui vise essentiellement l’ensemble du territoire marocain situé à l’Est du fleuve Moulouya, avait d’ailleurs été la principale raison de la contre-offensive d’octobre 1963 des Forces armées royales (FAR), restée sous l’appellation historique de “guerre des sables”. Pourquoi alors, à ce niveau, prendre encore des gants? Mais il y a aussi l’essentiel, c’est que la cause kabyle est d’abord juste.

S’engouffrer dans la brèche
Contrairement à beaucoup de peuples du Sud, dont la constitution ne remonte pas plus loin que l’époque du traçage artificiel des frontières par la colonisation européenne -cas, justement, de l’Algérie-, les Kabyles ont un ancrage historique affirmé, qui remonte à bien avant les premières occupations étrangères de l’Afrique du Nord.

Et c’est surtout une population qui est consciente de son existence et qui depuis bien avant l’indépendance de l’Algérie, avec la crise berbériste qui avait, au tournant des années 1950, divisé le mouvement nationaliste algérienne, et jusqu’au Printemps noir de 2001 d’où a vu le jour le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), ancêtre de l’actuel Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), met en exergue ses particularismes et envisagerait sans doute bien de prendre enfin en main son destin. Sur ce point en tout cas, M. Hilale n’aura fait que relever un constat.

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