UN 20 JUILLET À AL HOCEIMA

Wissam El Bouzdaini

L’arrestation depuis mai 2017 de plusieurs activistes du mouvement de contestation populaire du Rif semble n’avoir en rien entamé l’esprit de décision de la population de la région.

La vidéo résume sans doute à elle seule la dimension véritablement populaire du mouvement de contestation qui, depuis octobre 2016, mène la fronde sociale dans la région du Rif. Abondamment partagée sur les réseaux sociaux, on y voit Hajja Zohra, une femme d’âge mûr de la ville d’Al Hoceima, haranguer avec véhémence les forces de l’ordre en levant l’index, le majeur et l’annulaire, qui font référence à la terre, l’Homme et la langue, qui sont la devise du mouvement amazigh, duquel se revendiquent beaucoup de Rifains.

“Emmenez-moi à Oukacha”, s’époumone Hajja Zohra dans sa fameuse vidéo, en référence à la prison locale de la ville de Casablanca où beaucoup d’activistes sont détenus. Ainsi, la participation à la marche du 20 juillet 2017 d’Al Hoceima, annoncée depuis plusieurs mois et qui a coïncidé avec le 95ème anniversaire de la victoire du résistant rifain Mohamed ben Abdelkrim El Khattabi sur l’armée coloniale espagnole dans la commune d’Anoual, a pour le moins été massive, malgré l’interdiction par le ministère de l’Intérieur et la condamnation des partis politiques prenant part au gouvernement de Saâd Eddine El Othmani. Outre la population locale, des sympathisants du Hirak ont fait le déplacement depuis d’autres régions du Maroc, et même de l’étranger pour ce qui est de la nombreuse diaspora rifaine pour qui la saison estivale est l’occasion de retrouver la terre ancestrale.

Ce n’était également pas pourtant à défaut du dispositif mis en place pour parer à tout rassemblement de masse, et ce dès la veille, avec de nombreux points de check-in installés aux différents abords d’Al Hoceima. Jamais à court d’idées, certains, notamment des habitants du village de Temsamane, à plus de 97km à l’est, ont feint un cortège de mariage, et enlevaient par là l’hilarité de nombreux internautes.

Ce fut sans doute là, toutefois, une des seules notes comiques de la journée, car il s’est véritablement agi là d’un jeudi noir. Comme c’est le cas depuis le début des arrestations, il y a eu ainsi, encore, des échanges de jets de pierre entre manifestants et forces de l’ordre, malgré l’appel du leader du Hirak, Nasser Zefzafi, à garder le caractère pacifique des manifestations et son excommunication des activistes violents, notamment dans la lettre qu’il avait fait parvenir aux médias le 5 juillet 2017 par le biais de son avocat Mohamed Ziane.

Des bombes lacrymogènes furent également utilisées par la force publique, auxquelles des personnes qui se trouvaient à la mosquée, loin des manifestations, pour accomplir la prière d’al-asr n’échappèrent également pas. On vit à cet égard des locaux, par solidarité, jeter des bulbes d’oignon aux marcheurs atteints pour dissiper les effets du gaz et des bouteilles de Coca-Cola pour se laver les yeux, devenus rouges et larmoyants d’irritation.

Dramatiquement encore, il y a eu de nombreux blessés: 83 au total d’après le ministère de l’Intérieur, dont 72 dans les seuls rangs des forces de l’ordre. Pis, trois blessés sont dans un état particulièrement grave: deux policiers et un manifestant, apparemment touché par un projectile à la tête. Ce dernier a même été dit cliniquement mort par certains activistes du Hirak; mais les autorités locales, tout en confirmant son état comateux, ont précisé qu’il était toujours vivant. En tout cas, il avait derechef été transporté à l’hôpital militaire d’instruction Mohammed-V de la capitale, Rabat.

Il faut à cet égard noter, toutefois, que la population du Rif, qui s’est depuis le début de la contestation toujours tenue à un agenda strictement socioéconomique malgré les accusations de séparatisme portées à son encontre par le gouvernement et spécialement le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, pourtant lui-même rifain, a exprimé par la voix des activistes du Hirak son souhait d’éviter un tel scénario. Quelques trublions, qui veulent organiser une marche le jour de la fête du trône, le dimanche 30 juillet 2017, pour contester onne- sait-quoi ont ainsi été unanimement mis à l’index.

L’avenir proche ne se présente toutefois pas sous les meilleurs auspices tant que les activistes détenus n’ont pas encore été libérés: il s’agissait d’ailleurs de la principale revendication des manifestants lors de la marche du 20 juillet

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