ENTRETIEN. Prêcheur et dirigeant politique, l’imam Abou Hafs réagit aux attaques terroristes qu’a connues la France, vendredi 13 novembre 2015.
Maroc hebdo: Comment avez-vous réagi à la nouvelle des attaques de Paris?
Abou Hafs : Très très mal. Comme vous, comme tout le monde, j’ai été effondré. J’ai une pensée, en cet instant, pour les victimes innocentes. Il faut condamner avec force, avec beaucoup de véhémence cette sauvagerie insoutenable, ces actions barbares d’une bestialité sans pareil. Ces attentats sont abjects et sont inacceptables, inexcusables. Aucune idéologie ne peut les légitimer. L’Islam est une religion de paix; depuis 14 siècles, il s’est toujours évertué à propager un message d’amour, de coexistence entre différentes religions, peu importe nos différences, sans réelle importance au fond. Ce qui compte, en définitive, c’est notre capacité à pouvoir vivre ensemble, au-delà des points de vue qui peuvent parfois nous opposer. C’est d’ailleurs cela l’essence même du message du saint Coran. Vivre et laisser vivre. L’Islam ne cautionne et ne peut aucunement cautionner ces attentats. Les terroristes ne peuvent nullement s’en réclamer, étant donné que leur discours ne tient aucun fondement dans notre religion.
Vous avez longtemps fréquenté les cercles jihadistes, eux-mêmes prônant une vision violente de l’Islam. Depuis, vous avez changé. Votre discours appelle désormais à la tolérance mutuelle, au vivre-ensemble, comme vous venez d’ailleurs de le souligner. A quoi peut, d’après vous, penser un terroriste en commettant son forfait?
Abou Hafs: Le grand danger chez un terroriste, et chez un extrémiste de façon générale, c’est qu’il croit avoir raison. En agissant avec violence, en tuant des innocents, il pense être dans le vrai et accomplir son devoir de bon musulman. Certains d’eux peuvent même ressentir du plaisir à tuer, à abattre ceux qu’ils assimilent à l’ennemi, maudit par Dieu et son Prophète. C’est pour cela que je pense que les approches actuelles, faisant appel à des gens de religion pour propager un message de paix et d’amour auprès des jeunes musulmans, ne peut être pleinement efficient si l’on n’y associe pas des psychologues, des sociologues et autres spécialistes en sciences humaines; ceux-là sont à même de pénétrer, avec l’objectivité du scientifique, le coeur et l’esprit d’un jihadiste. L’on ne peut, en effet, raisonnablement lutter contre ce que l’on ne connaît pas vraiment, ce dont on ignore les véritables ressorts et tenants.
On vous remarque souvent sur les réseaux sociaux. Vous ne vous limitez pas à des prêches classiques dans les vases clos des mosquées. Reconnaissez- vous le rôle devenu essentiel des réseaux dans la propagation de l’Islam de paix et d’amour que vous défendez?
Abou Hafs : Les réseaux sociaux sont devenus des lieux incontournables dans nos sociétés actuelles, numérisées, dans la propagation du message religieux, qu’il soit de paix et d’amour, comme je le défends, ou extrémiste, comme c’est le cas pour les idéologues du jihadisme.
D’ailleurs, c’est par le biais d’Internet que les organisations terroristes parviennent aujourd’hui à renforcer leur soldatesque. Il ne faut pas les laisser, partant, opérer seul sur ce terrain; j’ai le devoir, en tant que musulman, de produire un message différent, plus tolérant, dans ce même espace. Globalement, les Etats ne peuvent aujourd’hui prétendre lutter contre l’idéologie jihadiste s’ils ne prennent pas en compte la réalité des réseaux sociaux, et leur rôle, désormais clairement établi, dans la production et la circulation des idées.