Abdeslam Jaïdi, le coupable idéal?

L'ancien consul du Maroc à New York au coeur de la tourmente

En se retrouvant au coeur du scandale de son ex-femme, accusée d’avoir amené des travailleurs philippins aux Etats-Unis sur la base de faux documents, Abdeslam Jaïdi met sans doute à mal la diplomatie nationale dans son ensemble.

Le moins que l’on puisse dire est que Abdeslam Jaïdi est dans de sales draps. Depuis le 13 mars 2019, l’ancien consul du Maroc à New York est au coeur d’une véritable tempête médiatique outre-Atlantique en raison de l’inculpation de son ex-femme, Maria Luisa Estrella, pour «conspiration en vue de commettre une fraude sur les visas et de faire des déclarations matériellement fausses» et «conspiration pour inciter des étrangers à venir, entrer et résider illégalement aux Etats-Unis» -rien de moins. Avec son frère Ramon Singson Estrella, lequel fait encore l’objet d’un avis de recherche, l’intéressée aurait fait venir, entre 2006 et 2016, sept ressortissants philippins pour travailler dans la résidence qu’elle et M. Jaïdi possèdent à Bronxville, en banlieue new-yorkaise, ainsi que dans leur ferme à Ancramdale, environ 140km plus au nord, en falsifiant leurs papiers et en les présentant aux autorités américaines comme futurs contractuels du consulat du Royaume dans la Grosse Pomme. Ces Philippins auraient, conséquemment, bénéficié de visas auxquels, normalement, ils n’avaient pas droit -il s’agit précisément des visas A-2, G-1 et G-5, réservés seulement au personnel des représentations diplomatiques. «Les accusés ont abusé du processus d’admission de fonctionnaires consulaires de notre pays afin d’amener des travailleurs domestiques (...) pour leur propre gain financier et leur style de vie,» s’est élevé le procureur des Etats-Unis dans le district sud de New York -dont relève le consulat du Maroc-, Geoffrey S. Berman.

Contrats de travail frauduleux
Pour sa part, le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, duquel dépendent les représentations diplomatiques du Maroc à l’étranger, s’est, pour l’instant, gardé de réagir. Tout juste pouvait-on lire trois jours après le déclenchement de l’affaire, dans un article publié dans l’après-midi du 16 mars dans le journal électronique Le360, des propos prêtés à «un ancien diplomate à New York qui a requis l’anonymat» qualifiant Mme Estrella de «femme très caractérielle ». «Abdeslam Jaïdi a justement divorcé depuis des années en raison de comportements contraires à l’éthique qu’il a constatés chez son ex-femme,» détaillait le diplomate en question. Et ce dernier d’ajouter: «Abdeslam Jaïdi n’est plus en poste à New York depuis l’été 2018, donc bien avant l’éclatement de cette affaire».

Cette défense est, toutefois, difficilement plaidable, dans la mesure où, de un, l’affaire remonte à un moment où M. Jaïdi était, quoi qu’on dise, bel et bien «en poste» -avec, même, le titre d’ambassadeur, précise le parquet-, et de deux, le document de la plainte du gouvernement des Etats-Unis, auquel Maroc Hebdo a eu accès, met en cause le concerné, sans néanmoins le nommer -il est désigné par l’acronyme CC-1, pour Corps consulaire n°1-, en tant que «co-conspirateur», ni le poursuivre du fait des conventions internationales prévalant en ce sens, notamment la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961. En effet, avec Mme Estrella et son frère, le diplomate aurait poussé cinq des sept travailleurs philippins incriminés à déclarer dans leurs demandes de visa qu’ils seraient employés en tant que secrétaires, assistants administratifs ou techniciens à la mission ou au consulat du Maroc, ce qui était faux.

Dans le même sillage, ces travailleurs auraient également, à l’instigation du trio, soumis des contrats de travail frauduleux au département d’Etat américain dans le cadre de leur demande de visa. Une fois arrivés aux Etats-Unis, les travailleurs auraient été employés en tant que chauffeurs personnels, aides domestiques, ouvriers agricoles et assistants dans la résidence de Bronxville. Qui plus est, ils auraient travaillé pour moins que le salaire minimum (un des travailleurs n’aurait reçu que 500 dollars par mois, alors que dans son contrat 1.800 dollars étaient déclarés) tout en les obligeant, souvent, à s’atteler à la tâche bien plus que 40 heures par semaine, et même 18 heures par jour quand des fêtes étaient par exemple organisées, et ce sept jours d’affilée.

Une affaire embarrassante
Sur la même base frauduleuse, Mme Estrella et M. Jaïdi auraient, au besoin, renouvelé les contrats des travailleurs auprès des autorités américaines. Dans ce sens, deux autres corps consulaires -appelés simplement, dans la plainte à l’encontre de Mme Estrella et de son frère, CC-2 et CC-3-, auraient également trempé dans l’affaire, en contribuant à soumettre au département d’Etat de faux documents pouvant favoriser le maintien de la situation contractuelle des sept Philippins. Ces deux corps consulaires, qui auraient été les hommes à tout faire de M. Jaïdi, auraient également traficoté les contrats censés faire venir les travailleurs depuis les Philippines. Au même titre que leur chef, ils demeurent toutefois à l’abri des poursuites, du fait de leur statut de diplomates.

Mme Estrella et son frère -au cas où la police américaine arrive à lui mettre le grappin dessus- devraient donc être les seuls à trinquer. La chose ne serait toutefois pas totalement injuste, puisqu’on peut les considérer, à lire la documentation de la justice américaine, comme les cerveaux de l’affaire. D’abord, si Mme Estrella et M. Jaïdi amenaient des travailleurs des Philippines précisément, c’est parce que la première citée en est originaire.

Cette dernière en porte d’ailleurs toujours la nationalité, en plus de son statut de citoyenne des Etats-Unis. Elle aurait à trois reprises, sur place, mené les entretiens avec les travailleurs qui, plus tard, devaient être recrutés pour la résidence de Bronxville et la ferme d’Ancramdale. M. Jaïdi ne l’aurait fait qu’une seule fois, «en ou vers 2012». Pour autant, le diplomate, au cas où les charges à l’encontre de son ex-épouse et de son ex-beau-frère se confirmeraient, ne serait pas exempt de reproche; tant s’en faut. Il faut d’ailleurs voir, peut-être, dans son rappel un possible rapport de cause à effet, même si du fait de l’hermétisme en vigueur du côté du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, la chose soit difficile à certifier. Pour le département de Nasser Bourita, il ne s’agit pas moins d’une affaire embarrassante, susceptible de mettre à mal la diplomatie nationale dans son ensemble, si ce n’est pas déjà fait...

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