RENCONTRE

Ahmed Amine Sahel, le nouveau visage du théâtre au Maroc

Artiste engagé aux différentes casquettes, Ahmed Amine Sahel s’impose déjà comme le nouveau visage du théâtre au Maroc. Portrait de ce jeune qui raconte les maux de la société marocaine à travers des textes forts et captivants.


Lorsque nous le rencontrons pour cet article, Ahmed Amine Sahel se déleste toujours de son incroyable victoire au 23è Festival national du théâtre qui s’est tenu à Tétouan mi-décembre 2023. Tout sourire, il nous fait signe d’attendre tout en continuant de taper frénétiquement des doigts sur l’écran de son smartphone pour répondre aux centaines de messages de félicitation qui s’abattent sur lui. “Pour être honnête, je ne m’y attendais pas du tout. Peut-être un prix au mieux, mais quatre c’est juste fou surtout que parmi les autres participants il y avait des artistes connus par le grand public et expérimentés et qui m’ont enseigné”, nous lance, avec une voix où résonnent joie et fierté, le jeune metteur en scène et scénariste que beaucoup perçoit comme le nouveau visage du théâtre au Maroc. Meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleure interprétation masculine et surtout le Grand prix: sa dernière pièce intitulée La Victoria raffle tout.

Pourtant, le natif de Rabat un 18 septembre 1994 n’a pas toujours rêvé d’être un prodige de la scène. Après avoir décroché son baccalauréat en littérature et sciences humaines d’un lycée à Salé, ville où il a grandi et longtemps vécu, Ahmed Amine Sahel opte pour des études pour devenir assistant social, tout en prenant part à des ateliers libres de théâtre dans la capitale. C’est là que c’est encadrants, dont des artistes de renom comme Latifa Ahrar, Hicham Ibrahimi ou encore Naima Zitane remarquent son talents et lui recommandent d’intégrer l’Institut supérieur d’art dramatique et d’animation culturelle (ISADAC) de Rabat.

“Il y aussi le fait que j’ai été tout le temps en contact avec des femmes violentées et autres catégories sociales fragiles ou marginalisées. Ça m’a donné envie de me lancer sérieusement dans le théâtre pour raconter tout ça à ma manière”, raconte à Maroc Hebdo, Ahmed Amine Sahel. Il franchit alors et passe le concours du prestigieux ISADAC, et arrive même premier. De quoi le réconforter davantage dans son choix et dans la nouvelle voie qu’il souhaite entreprendre. “C’est quand même incroyable, car au lycée je ne savais même pas que cet établissement existait. Je pense que c’est un problème d’orientation”, nous lance-t-il.

Depuis, le passage par l’ISADAC où il décroche un master, révolutionne la vie du jeune artiste, aussi bien humainement qu’artistiquement. “Si je suis là où je suis aujourd’hui, c’est grâce à cette expérience où je me suis fait beaucoup d’amis avec lesquels je travaille et je lutte jusqu’à maintenant pour faire un théâtre de qualité”, poursuit-il. Artiste polyvalent, Ahmed Amine Sahel endosse plusieurs tenues, notamment celles de scénariste et de metteur en scène, faisant valoir son style d’écriture à la fois poétique et captivant qui interpelle le spectateur et explore des univers variés. Un talent que le jeune artiste de 29 ans a su développer en parallèle en rédigeant plusieurs textes de rap et de slam, deux formes d’expression artistique qui correspondent parfaitement à ses textes engagés, remportant ainsi au passage le prix meilleur slameur au Maroc en 2018.

Brillante carrière
Mais c’est bien dans le théâtre qu’Ahmed Amine Sahel se montre le plus prolifique et surtout se fait un nom parmi les grands. En 2018, il joue dans sa première pièce théâtrale, Bara’at Rouh (Innocence de l’âme en arabe) qui aborde la délicate question de la peine de mort, et impressionne ses pairs même à l’étranger, notamment à Brest en France.

Mais sa carrière prend une nouvelle dimension avec la pièce Brenda, grâce à laquelle il récolte plusieurs prix en 2021 et 2022 aussi bien au Maroc que dans le monde arabe, notamment en Egypte et en Jordanie malgré que le texte soit en dialecte marocain. Présentée pour la première fois dans le cadre de son projet de fin d’études à l’ISADAC, la pièce est inspirée d’une chanson du légendaire rappeur américain Tupac Shakur, et raconte la tragédie de l’adolescente Brenda, tombée enceinte à 15 an qui sombre dans le monde de la drogue et de la prostiution et finit par se faire tuer.

Une manière d’aborder des sujets sensibles, comme la situation des mères célibataires, tout en adaptant la source d’inspiration à la culture marocaine. “Cette oeuvre occupe une place spéciale dans mon coeur, car j’ai travaillé dessus avec amour pendant quatre années, en coopération avec des camarades de l’ISADAC”, nous confie-t-il. Puis est venue la pièce La Victoria, où Ahmed Amine Sahel retrouve les mêmes noms avec lesquels il a collaboré dans Brenda. “On ne change pas une équipe qui gagne”, lance-t-il dans un ton blagueur. L’oeuvre est un succès à tous les niveaux, puisque le jeune de 29 ans et sa troupe remportent quatre prix au Festival national du théâtre, face à des figures connues comme Yassine Ahajjam, Adil Abatourab ou encore Kamal Kadmi.

Toutefois, ce prodige du théâtre, qui fait son master théâtre, performances et sociétés à Paris, préfère rester prudent. Pour lui, difficile de parler d’une industrie de l’art au Maroc tant que les investisseurs privés ne mettent pas les moyens et que le public n’a pas la culture d’acheter un billet pour voir un spectacle. “Je peux comprendre cela dans une certaine mesure puisque les gens préfèrent le commercial, et peu iront voir du Shakespeare ou du Molière”. Pour remédier à ça, le jeune artiste estime qu’un effort de communication massive dans les médias doit être fait autour du théâtre comme c’est déjà le cas pour les séries télévisées.

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