Anass Doukkali : "La solidité d’un système de santé se mesure par la maturité de son système d’information sanitaire"

Anas Doukkali est ex-ministre de la santé (2018-2019). Aujourd’hui président du Centre d’Innovation en e-Santé de l’Université Mohammed V de Rabat, il revient, dans cette interview accordée à Maroc Hebdo, sur les ambitions et les défis liés à la digitalisation de la santé au Maroc.


Anass Doukkali, président du Centre d'innonvation en e-santé de l'Université Mohammed V de Rabat


Pourquoi la digitalisation et le partage des données de santé doivent être une priorité pour le Maroc ?

D’abord, il y a un contexte national et international. Le Maroc est en train de vivre une transition profonde de son système de santé. Une transition vers un système de santé avec une gouvernance adaptée aux besoins, avec une offre de soin qui répond aux projets de généralisation de l’assurance maladie, portée par la vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, à un moment ou il convient de motiver les professionnels de santé. Sans digitalisation, les chantiers en cours de la santé au Maroc pourraient créer un engorgement au niveau des flux de traitement des dossiers médicaux. La CNSS prône d’ailleurs dans sa politique de digitalisation de maintenir le niveau de service.

La numérisation aujourd’hui s’impose. Le contexte international veut que, pour améliorer la qualité des soins, il faudrait préserver les données de santé des patients. Pour pouvoir avoir un parcours de soin coordonné entre les différents niveaux de santé, il faut avoir des données structurées, exploitables, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui avec les données en papier et celles qui sont en silos entre les différents intervenants.

Force est de constater que la solidité d’un système de santé se mesure par la maturité de son système d’information sanitaire, par la maturité de la donnée de santé et son exploitation pour mieux planifier, décider, que ce soit médicalement ou stratégiquement. La donnée est aujourd’hui indispensable pour la gestion des ressources. Aussi, la digitalisation nous permet de mutualiser les ressources.

La maturité numérique des données de santé est-elle un obstacle pour le déploiement de la stratégie digitale ?

Notre livre blanc s’est arrêté sur cette question et à travers les enquêtes qui ont touché plus de 3000 professionnels, dans des établissements publics et privés. Le constat, c’est qu’il y a une disparité entre privé et public en matière de digitalisation. Notre livre blanc recommande qu’il y ait des incitations pour que tous les acteurs soient dotés d’un système d’information. Il y a aussi la maturité en termes d’échange et d’interopérabilité, cette dernière dans ces différentes dimensions. La digitalisation est un processus qui est évolutif, qui passe par l’infrastructure mais également le software.

Quelle est la vocation du centre d’Innovation en e-Santé de l’Université Mohammed V de Rabat ?

Le centre a été créé avec la vision de mettre en place un hub de promotion de la e santé, c’est-à-dire une volonté de fédérer les acteurs de la santé. Les missions cardinales de ce centre sont la réflexion, la recherche et développement comme vous le voyez avec le livre blanc et les conférences que nous organisons mais aussi le plaidoyer. J’espère que ce que nous faisons a permis une élévation de la conscience digitale des acteurs de la santé. Nous sommes aussi un centre qui vient en aide aux solutions nationales, les startups, par exemple, pour leur faciliter le développement de leurs produits.

On fait de l’accompagnement à travers nos experts, de telle sorte que les solutions des startups soient adaptables à un besoin. Nous avons également une vocation de formation des professionnels de santé. Pour cela, Nous avons lancé un diplôme universitaire avec l’université Mohamed VI des sciences de la santé et le centre Mohammed VI de formation continue. Le DU s’appelle e-santé médecine connectée. Le but est de favoriser le développement des connaissances des acteurs de la santé au Maroc. Nous sommes un centre qui veut animer cette vie liée au digital et à la santé. Volet recherche et développement, formation, accompagnement, voilà notre vocation, elle est ambitieuse et nous sommes en train de la réussir petit à petit avec la confiance des parties prenantes.

Quid du déploiement effectif de la digitalisation au Maroc ?

Nous sommes déjà dans le déploiement. Nous sommes passés désormais à une phase d’accélération. En quelques mois, on a pu généraliser les systèmes d’information au niveau du territoire national, en tous cas dans le secteur public, ce qui est une prouesse. Ce sont pratiquement 2 milliards de Dh d’investissement dans le digital. Nous n’avons cependant pas le droit de procrastiner, car il s'agit d'un système qui est tiré par l’assurance. A moyen terme, je crois que tous les échanges entre les acteurs de la santé seront digitalisés. Pour l’instant, on a malheuresement pas de stratégie nationale de digital. Le ministère de la santé pourrait lancer à court terme une stratégie en intégrant tous les acteurs de telle manière à se projeter sur 10, 15 ans. Par ailleurs, la donnée va vous permettre de vous positionner demain à l’international, en interconnectant les compétences marocaines à l’étranger, plaçant le royaume en tant que hub régional, à l'instar des autres secteurs ou le Maroc a démontré son expertise. cette démarche est essentielle si l’on veut intégrer la mondialisation de la santé. 

Articles similaires