On a coutume de dire qu’entre le Maroc et la France, les rapports sont de nature passionnelle. Au fil d’un relationnel bilatéral en dents-de-scie, entre périodes d’accalmie et phases de tension, la presse française a toujours joué un rôle de premier plan. C’est somme toute normal dans un pays où les médias assurent et assument pleinement leur statut, bien acquis, de quatrième pouvoir. Sauf que dans le cas qui nous préoccupe, c’est plutôt un aspect des plus sordides qui est mis à découvert et qui jette le discrédit et l’opprobre sur la fonction journalistique.
Car voilà deux journalistes français, Éric Laurent et Catherine Graciet, qui décident de se mettre en affaire pour une basse oeuvre commune, un livre dont ils définissent d’emblée la ligne directrice. Il s’agit de dire, autant que possible, du mal de la monarchie marocaine, quitte à fouiller dans les poubelles et les esprits mal intentionnés et à frapper aux portes des ennemis irréductibles du Maroc, dans notre voisinage immédiat. Pourquoi les journalistes en question ont-ils nourri ce projet indigne? Certainement pas par amour des lettres et de l’art. L’objectif, arrêté dès les premières lignes, coule de source: monnayer leur torchon en proposant de renoncer à sa publication. C’est ce qu’ils ont fait. Mal leur en a pris. Ils ont été appréhendés en flagrant délit, quasiment la main dans le sac du magot qu’ils entendaient extorquer. Plus avéré et plus caractérisé que cette opération de chantage, il n’y en a pas. L’affaire a fait grand bruit dans les médias français et provoqué un tollé d’indignations et de condamnations au Maroc.
Quel enseignement peut-on en tirer et que faut-il en déduire, côté Maroc? S’il y a une hypothèse à écarter en premier, c’est une éventuelle naïveté des deux comparses. Ce sont bel et bien des journalistes aguerris, qui ne sont pas à leur premier écrit sur le Maroc; l’un d’entre eux, Catherine Graciet, y a même exercé. Ils sont donc parfaitement accoutumés au pays pris pour cible. À telle enseigne qu’ils donnent l’impression d’être sûrs de leur coup, de tenir le casse de leur vie. Éric Laurent ne le nie pas d’ailleurs, bien qu’il enveloppe son aveu dans une supposée tentation, en raison de ses difficultés personnelles. L’assurance des deux complices intrigue, autant qu’elle appelle quelques clarifications.
Sur ce registre, il n’y a pas à se cacher derrière un patriotisme de façade, faussement exacerbé. C’est archi-connu, des journalistes et autres écrivains français ont pris l’habitude d’être généreusement rémunérés en échange de papiers élogieux. Il suffisait de brandir la menace de “révélations compromettantes”, même imaginaires, pour être grassement rétribué. À chaque fois, le Maroc crachait au bassinet. Quand ils passent par le Maroc, en service professionnel ou en villégiature, c’est des palaces et autres largesses à profusion. C’est ce que Tahar Benjelloun appelle “le syndrome de la Mamounia”, dans un beau texte comme seul un prix Goncourt sait en faire.
Il a bien fallu admettre que cette méthode onéreuse non seulement ne pouvait pas durer, à moins de transformer nos agrumes en matière pétrolifère; mais qu’en plus, elle n’était pas payante. Elle pouvait même avoir un effet pervers et un résultat inverse. Le rideau est finalement tombé. Désormais, la paierie affiche porte close. On ne fait plus de commandes que dans les règles de l’art du publi-journal et dans la transparence des obligations de trésorerie. Libre à chacun d’écrire en son âme et conscience. La réalité, forcément têtue, fera le tri. Les lecteurs et les décideurs, aussi. Le nouveau règne a privilégié un rapport à la presse fondé sur la responsabilisation professionnelle et la sensibilisation déontologique.
Des valeurs faites pour résister aux variations des conjonctures et à l’usure du temps. Il semble, malheureusement, que cette approche de rupture n’a pas encore été intégrée par quelques confrères français. Ça viendra. Il ne peut en être autrement au pays où la liberté de la presse ne peut se concevoir sans le respect des fondamentaux du métier de journaliste.