Benkirane met en jeu sa popularité

La suppression de la subvention du gaz butane, du blé et du sucre est à l’ordre du jour. Le pétrole bon marché n’étant pas durablement acquis, la flambée des prix est inévitable. À quel prix? La suppression de la subvention du gaz butane, du blé et du sucre est à l’ordre du jour. Le pétrole bon marché n’étant pas durablement acquis, la flambée des prix est inévitable. À quel prix?

L’information a fait le tour de la toile, à comparer avec une traînée de poudre, en termes de rapidité et d’effet déflagrant. Le gouvernement Benkirane serait décidé à supprimer le soutien aux prix du gaz butane, du blé et du sucre, d’ici la fin de l’année 2015. Si cette mesure se précisait, la Caisse de compensation, déjà soulagée des subventions aux hydrocarbures, rendrait son dernier souffle. On n’en parlera plus qu’à l’imparfait, pour évoquer le bon temps révolu. Il est vrai que Mohamed El Ouafa, ministre des Affaires générales et de la gouvernance, a fait une déclaration aux allures de démenti qui n’en est pas un. «Pas de décompensation» des trois produits en question, affirme-t-il, en ajoutant «pour le moment». Tout est dans ce “pour le moment”, atténuation qui a valeur de sursis. Le doute est donc permis. Les conséquences possibles, sans être pour autant souhaitables, loin de là, sont prévisibles.
Si la suppression de la subvention des produits pétroliers ne s’est pas immédiatement répercutée sur les tarifs à la pompe, c’est grâce à la chute spectaculaire du cours du baril sur le marché international. Une conjoncture favorable qui a permis d’éviter la flambée des prix, par ricochet, sur toute la chaîne de consommation de base. Cette “baraka”, qui n’est pas inscrite dans une durée indéterminée, risque à tout moment de s’inverser. D’ores et déjà, la tendance à la hausse montre le début du nez.

Répercussions économiques
Le 16 février 2015, le litre d’essence et de gasoil a fait, respectivement, un saut de 63 et 57 centimes, passant ainsi à 9,54 et 8,45 dirhams. Ces augmentations, même si elles sont relativement supportables, ne prédisent rien de bon pour l’avenir immédiat. Confirmation a été récemment faite par les professionnels du secteur, tel le DG de Total. D’ailleurs, le FMI a invité le Maroc à se préparer pour faire face au choc d’un retournement des cours du pétrole, avec toutes les répercussions économiques et sociales que l’on devine.
Dans son dernier rapport d’évaluation de l’économie marocaine, cette institution internationale concède que «le Maroc est sur de bons rails», tout en appelant à «la poursuite des réformes de manière soutenue». Traduit en langage usuel, cela ne veut pas dire autre chose que la suppression des subventions de certaines denrées, considérées comme autant de pesanteurs financières qui faussent la loi du marché. En plus clair encore, l’invite du FMI est une incitation, non voilée, à l’instauration de la vérité des prix, quels que soient le coût social et la marge de risque politique. Cette philosophie, qui régit l’économie mondiale, le Maroc en a déjà fait l’amère expérience par le passé, avec, à titre d’exemple, les événements douloureux du 20 juin 1981 à Casablanca. Sommes-nous à la veille d’une réédition malheureuse? Il y a lieu de le croire.
Comme d’habitude, ce gouvernementlà, beaucoup plus que ses prédécesseurs, met en avant le poids de la compensation sur le budget de l’État. Soit 14 milliards de Dh pour le gaz butane; 2,4 milliards pour le blé et 3,5 milliards pour le sucre. Au cas où cet appui serait subitement supprimé, cela équivaudrait à plus 83 Dh pour la butane; 2,85 Dh et 1 Dh de plus pour le kilo de sucre et du blé. Ceci, valeur aujourd’hui, par rapport au cours actuel d’un pétrole relativement bon marché. Même dans ce cas de figure, il faut s’attendre à une valse ascendante des prix de revient, des marges bénéficiaires et des étiquettes qu’on ose à peine imaginer. Il est peu probable qu’un économiste normalement constitué soutienne le contraire.

La tare fondamentale
Quelle sera la résonance du panier de la ménagère et du pouvoir d’achat du commun des citoyens, sur la rue? Le gouvernement n’a pas manqué de rappeler la tare fondamentale du système actuel de la compensation. Dans la mesure où celle-ci, particulièrement pour ce qui est du blé et du sucre, continue à être détournée par les grandes boulangeries patisseries et à faire l’objet de stratagème spéculatif, alors qu’elle est censée profiter exclusivement aux couches populaires. Ce qui a amené le gouvernement, précise-t-on, à réfléchir à un mécanisme d’aide directe aux plus démunis ou à un quelconque procédé de cartes de rationnement. Difficile et peu convaincant.

La hantise du désordre
En attendant, aucune hypothèse n’est à exclure. Jusqu’ici, deux facteurs principaux ont permis de sauvegarder une paix sociale soutenue par un équilibre potentiellement instable. Le sens des responsabilités des centrales syndicales les plus représentatives. Et la peur de basculer dans une “fitna” (désordre chaotique) sociale aux conséquences insoupçonnables. La patience des syndicats a été mise à rude épreuve par un dialogue social qui tourne dans le vide, et qui donne aux représentants des salariés le sentiment de brasser du vent.
Pas plus tard que le lundi 23 février 2015, les syndicalistes ont été contraints de suspendre la séance de ce dialogue de sourds, pour consultation, devant le refus de leurs interlocuteurs gouvernementaux d’introduire la variante coût de la vie dans l’appréciation des salaires et le calcul des pensions de retraite. Quant à la hantise du désordre ravageur qui habite tout un chacun, elle s’amenuise à vue d’oeil pour faire place à des réflexes à peine rentrés de désespérance.
Malgré cette double menace, on ne peut plus réelle, il y a fort à parier que le gouvernement Benkirane continuera à tirer sur la corde jusqu’à l’usure. Il est perçu comme l’Exécutif idoine à pouvoir sacrifier à ce jeu dangereux, du genre “ça passe ou ça casse”. Une sorte de tribut expiatoire infligé à une coalition gouvernementale à dominante islamiste. Avec ou sans consentement.

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