Dans une certaine mesure, le rapprochement en train de s’opérer actuellement entre le Maroc et la Russie du président Vladimir Poutine, couronné par l’actuelle visite royale dans le pays à partir du dimanche 13 mars 2016, était inéluctable. Le roi Mohammed VI l’avait en quelque sorte officialisé dans son discours du Trône de 2014, où il faisait part, déjà, de son ambition de consolider les relations unissant le Royaume à ce pays.
Il l’avait aussi rappelé, à la même occasion, en juillet 2015, en réitérant l’engagement du Maroc à approfondir et enrichir le partenariat liant les deux pays. Pourquoi donc un rapprochement inéluctable? Pour le comprendre, il suffit de s’intéresser, comme toujours pratiquement quand il s’agit du domaine des Affaires étrangères et de la Coopération au Maroc, aux développements connus ces trois dernières années par la question du Sahara.
En effet, en 2013, Mohammed VI reconnaissait pour la première fois dans son discours au parlement à l’occasion de l’ouverture de la première session de la troisième année législative de la neuvième législature que «la situation (était) difficile» et que «rien (n’était) encore tranché». «Les manoeuvres des adversaires de notre intégrité territoriale ne vont pas s’arrêter, ce qui pourrait placer notre cause devant des développements décisifs», avait-il affirmé.
C’est que le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) menaçait d’appeler les membres du Conseil de sécurité de l’organisation à réexaminer «complètement» le processus de négociation en cours depuis 2007. Il vient d’ailleurs de qualifier, le 5 mars 2016 en Algérie, la présence du Maroc dans son Sahara d’«occupation». Vient donc la Russie, dont la position, même du temps où elle formait encore la pierre angulaire de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), a toujours été pratiquement acquise au Maroc.
Son ambassadeur dans le Royaume, Valeriy Vorobiev, clamait même haut et fort, en 2014, la marocanité du Sahara. Une première, de mémoire locale, d’un diplomate en fonction d’un membre permanent du Conseil de sécurité.
Une position acquise
L’entrevue entre Mohammed VI et M. Poutine, qui a duré plusieurs minutes, était prévue de longue date. Elle devait dans un premier temps avoir lieu en 2014. Mais le roi l’avait annulée à la dernière minute. Le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Salaheddine Mezouar, en déplacement en Russie dans la foulée, avait expliqué “que plusieurs documents bilatéraux n’avaient pas été préparés à temps”. Par la suite, l’ambassadeur du Royaume à Moscou, Abdelkader Lachhab, avait à deux reprises, en mars et juillet 2015, annoncé l’imminence d’une visite royale. C’est donc aujourd’hui chose faite. M. Poutine avait en personne tenu à recevoir chez lui, dans le faste enchanteur du Kremlin, le roi.
Il lui avait même téléphoné au mois de mai 2015 pour lui faire part de son invitation officielle. Leur poignée de main, mardi 15 mars 2016, devant une nuée de flashs d’appareils photographiques, devrait à coup sûr sceller pour de bon le “partenariat stratégique approfondi” auquel ambitionnent les deux pays. Une déclaration a d’ailleurs dans ce sens été rendue publique à l’issue des entretiens ayant réuni les deux chefs d’Etat. Elle vise entre autres à contribuer à la paix et à la stabilité régionales et internationale. Assurément, depuis son dernier voyage officiel à Moscou, en 2002, Mohammed VI a beaucoup changé. C’est désormais d’abord un leader d’envergure internationale dont la parole pèse au même titre que les chefs d’Etat des grandes nations sur la marche du monde. Le contraste entre les deux époques était d’ailleurs éloquent à l’atterrissage du Souverain, dimanche 13 novembre 2016, sur le tarmac de l’aéroport international de Vnoukovo, situé en banlieue moscovite.
Leader d’envergure
Pour sa part, M. Poutine, lui, est resté pratiquement le même, si ce n’est la chevelure de plus en plus clairsemée, âge oblige. Le maître incontesté du Kremlin est même considéré à l’heure actuelle, à en croire du moins l’hebdomadaire américain Time, comme l’homme le plus puissant de la Terre.
C’est donc de la rencontre de deux parmi les sommités mondiales les plus en vue du moment qu’il s’est agi à Moscou. Comme il est désormais de coutume, Mohammed VI était accompagné de ses conseillers Taieb Fassi Fihri et Fouad Ali El Himma.
Côté russe, étaient également présents auprès de M. Poutine son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et son conseiller Iouri Ouchakov, sans compter une jeune dame, entièrement vêtue de noir, jouant le rôle de traductrice officielle. Mohammed VI a choisi de s’exprimer en langue française.
La question du Sahara
Dans une confidence “volée” par les caméras de télévision installées dans la pièce où s’est déroulée l’entrevue, il prononce notamment les mots “chaleureux” et “plaisir”. La déclaration sur le partenariat stratégique approfondi marocorusse tient «dûment compte» de la position du Maroc concernant le règlement de la question du Sahara. Il s’agit donc là, dans une certaine mesure, d’un soutien clair et net de la Russie à l’initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie pour la région.
Son opposition, aux côtés du Royaume, à toute tentation d’accélération ou de précipitation dans la conduite du processus politique, de même qu’à toute sortie des paramètres déjà définis dans les résolutions actuelles du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), l’accrédite. Des termes qui prennent distance, en filigrane, avec les récents propos de Ban Kimoon sur le Sahara marocain.
Qui plus est, la Russie “prend note” des projets socioéconomiques lancés par le Maroc dans la région. Sans doute est-ce une déclaration intéressée, dans la mesure où M. Poutine cherche actuellement à diversifier ses partenariats dans la région MENA (Moyen-Orient/Afrique du Nord), au moment où sa politique locale, notamment dans le conflit syrien, tend à l’isoler, de proche en proche, du front commun mené dans le Golfe par l’Arabie saoudite. C’est d’ailleurs la veille de la visite royale que le président russe a annoncé son retrait militaire de la Syrie.
Actions communes
Au Maghreb, la Russie est déjà fortement implantée, et ce depuis l’époque soviétique, dans l’Algérie voisine; à telle enseigne que près de la moitié de l’actuel armement algérien affiche, d’après l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), basé comme son nom l’indique dans la capitale de la Suède, Stockholm, des étendards russes. C’est, à l’heure actuelle, toujours d’après le SIPRI, son huitième client dans le monde, son premier en Afrique. Le Maroc reste aussi un pays à conquérir de la part de M. Poutine. A l’issue de leurs entretiens, Mohammed VI et M. Poutine ont présidé une cérémonie où plusieurs conventions de coopération bilatérale ont été signées. Plusieurs domaines sont concernés. Il s’agit notamment du domaine militaire et militarotechnique, au titre duquel une convention a été signée au cours d’une cérémonie présidée par les deux chefs d’Etat, ainsi que la lutte contre le terrorisme international.
Mémorandums d’entente
C’est d’ailleurs à ce titre M. El Himma s’était déplacé en janvier 2016, plusieurs semaines avant le déplacement royal, en Russie, pour s’entretenir notamment avec le secrétaire du Conseil de sécurité local, Nikolaï Paroutchev. En septembre 2015, le Maroc avait acquis, pour plusieurs millions de dollars américains, une soixantaine de véhicules de combat d’infanterie “BMP-3”, fabriqués par “Kurganmashzavod”, annonçant peut-être, prochainement, d’autres achats du même acabit.
Une convention portant sur l’extradition a, entre autres, également été signée. Par ailleurs, des mémorandums d’entente, un programme d’actions communes dans le domaine du tourisme, des conventions-cadres et un protocole d’échange d’informations relatif à la circulation des biens et des véhicules ont également été signés. Plusieurs ministres faisaient, dans ce sens, partie de la délégation royale. Les représentants du gouvernement marocain n’étaient cela dit pas les seuls à figurer dans la suite. Le patronat marocain était également présent en force. L’occasion pour les hommes d’affaires nationaux d’échanger avec leurs homologues russes.
Domaines de prédilection
Un nouveau conseil économique a d’ailleurs été mis en place, lundi 14 mars 2016, à Moscou. Il a notamment trait aux domaines de l’industrie, des énergies renouvelables, de l’agriculture, de la pêche et du tourisme. La présidente de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), Miriem Bensalah-Chaqroun a, à ce propos, affirmé, dans des déclarations rapportées par l’agence de presse officielle, la Maghreb arabe presse (MAP), que ce nouveau conseil permettra une ouverture sur de nouveaux secteurs. Les acteurs économiques nationaux et russes devraient à l’avenir procéder à leur identification.
Au cours de sa visite, Mohammed VI s’est également entretenu avec le premier ministre russe, Dimitri Medvedev. Outre M. Fassi Fihri, on pouvait compter la présence du ministre de l’Economie et des Finances, Mohamed Boussaïd, et du ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime, Aziz Akhannouch. Elle est en quelque sorte révélatrice des domaines de coopération de prédilection sur lesquels escomptent s’appuyer dans le futur le Maroc et la Russie dans le sens de l’approfondissement de leur partenariat stratégique.
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères et représentant spécial de M. Poutine pour le Moyen-Orient et l’Afrique, Mikhail Bogdanov, y voit pour sa part une traduction de l’excellence des relations politique, économique et humaine entre le Maroc et la Russie.
Intérêts contradictoires
Comment donc la France et les Etats-Unis vont-ils percevoir le rapprochement maroco-russe actuellement en cours? Sans doute avec force circonspection. M. Vorobiev en notifiait d’ailleurs déjà M. Poutine, en 2014, lors d’une conférence ayant réuni l’ensemble des ambassadeurs russes dans le monde. Il lui faisait part notamment d’”inquiétudes” françaises et américaines.
Dans ce contexte, on peut se demander si le Maroc saura préserver l’équilibre entre ces différents pays, qui constituent autant de forces en présence, mais aussi, par la même occasion, autant d’intérêts, le plus souvent contradictoires. Pour l’instant, le Royaume s’en sort bien. La déclaration du mardi 15 mars 2016 n’augure aucunement, dans le texte, d’un éventuel alignement pro-russe. Ceci dit, le fait que celle-ci mette l’accent sur le “rôle” de la Russie à l’échelle internationale pourrait faire jaser.
Le Maroc souligne à cet égard la “contribution significative” de la fédération “au renforcement de la sécurité et de la stabilité dans le monde”. Nul doute qu’au cours des semaines à venir l’on devrait observer de près l’évolution des rapports entre les deux pays.