Bouteflika, le Marocain qui n'en est pas vraiment un

Le Président Algérien contesté par son peuple

La décision de Abdelaziz Bouteflika de briguer un cinquième mandat n’est, selon toute vraisemblance, pas pour enchanter les Algériens.

Tout compte fait, Abdelaziz Bouteflika se serait bien arrangé de la destruction de sa maison natale à Oujda; décision finalement reportée par la mairie de la capitale de l’Oriental, le temps de trouver un terrain d’entente avec la famille du président algérien. En effet, le petit édifice en adobe, en pleine médina et menaçant ruine depuis plusieurs années -ce pourquoi il a d’ailleurs été résolu de le démolir, malgré le prestige dont il jouit de par la qualité de son illustre ancien locataire- est là pour rappeler à l’intéressé son extraction marocaine; ce qu’il voudrait sans doute, par ces temps de campagne présidentielle de l’autre rive du fleuve Kiss, bien taire.

En tout cas, le qualificatif de «Marocain» ne cesse de revenir, depuis plusieurs semaines, dans la rue algérienne, qui l’utilise pour contester les velléités de M. Bouteflika de continuer à occuper le palais d’El Mouradia pour le cinquième mandat de suite à l’issue du scrutin du 18 avril 2019.

Comme pour dire que celui qui, finalement, veut se présenter comme le plus Algérien des Algériens, au point d’en découdre de façon presque maladive avec son pays de naissance depuis sa première élection le 15 avril 1999, n’est finalement pas représentatif de la population: il ne faut donc pas nécessairement y voir, comme le soutiennent certaines mauvaises langues, un signe d’hostilité envers le Maroc.

Crise inédite
Lassés, nos voisins de l’Est le sont, résolument, vis-à-vis de leur président. Aux sobriquets, ils ajoutent d’ailleurs les manifestations: jusqu’à la diaspora, et en passant par toutes les villes et villages du pays, ils se rebiffent en masse.

Ces vendredi 22 et dimanche 24 février 2019, ils devaient d’ailleurs sortir par milliers pour bien signifier qu’ils ne voulaient pas sacrifier cinq autres années sur l’autel des rêves de M. Bouteflika de périr au sommet, à l’instar de l’ancien président Houari Boumédiène, mort au pouvoir en décembre 1978 et dont il fut pendant plus de 13 ans ministre des Affaires étrangères, et ainsi avoir droit à des funérailles nationales: il en coûterait trop à l’Algérie.

Cette dernière, surtout depuis que le prix du baril de pétrole a commencé à plonger en juillet 2014, ploie, ainsi, sous une crise inédite depuis plus de trente ans; conséquence d’une économie qui peine à s’extirper, depuis l’indépendance en juillet 1962, du tout-pétrole (plus de 97% des exportations). En cinq ans seulement, ses réserves de change ont tari de plus de 100 milliards de dollars.

Frère et conseiller
Pour bien mesurer la dégringolade, l’Algérie a, à un moment, fait partie intégrante du top 12 mondial. Aujourd’hui, elle peine à sortir la tête de l’eau. Elle qui s’enorgueillait d’avoir épongé toutes ses dettes depuis le milieu des années 2000 pourrait se retrouver dans l’obligation d’aller, à terme, sur les marchés internationaux: questionné par les médias, en février 2018, en marge de sa participation au Forum arabe sur les finances publiques de Dubaï, le ministre des Finances algérien, Abderrahmane Raouya, n’avait en tout cas pas écarté cette possibilité.

Le régime de M. Bouteflika, qui certes avait réussi à ramener la paix en Algérie au bout de la décennie noire -des dizaines de milliers de morts dans les affrontements entre militaires et islamistes dans les années 1990-, paraît en conséquence à bout de souffle; d’autant plus que le principal concerné est cloué, depuis avril 2013, à un fauteuil roulant, en raison d’un accident vasculaire cérébral (AVC) qui l’a paralysé du côté gauche. Au cours de son dernier mandat, les apparitions publiques du président algérien se sont, ainsi, faites rares. A chaque fois, elles étaient soigneusement préparées par son frère et conseiller, Saïd Bouteflika, que l’on dit le véritable maître de l’Algérie actuelle. Parfois, à la limite de l’ubuesque, en diffusant des images, par l’intermédiaire des médias officiels, n’arrangeant en rien l’image d’un chef d’Etat vu par la presse étrangère comme l’homme malade du Maghreb.

En avril 2016, le Premier ministre français de l’époque, Manuel Valls, avait ainsi «par inadvertance » fait fuiter, suite à des entretiens, des images du président algérien montrant bien que ce dernier n’avait plus toute sa tête. Mais, pour ainsi dire, les Algériens peuvent toujours courir.

M. Bouteflika ne donne pas l’impression de vouloir en démordre. En ce sens, les manifestations, aussi importantes qu’elles puissent être d’ici les présidentielles, ne devraient, finalement, servir à rien. Le locataire d’El Mouradia ou plutôt de la Zeralda, palais de la banlieue algéroise qu’il a fait, sur mesure, médicaliser, a, au cours des derniers mois, bien fait savoir qu’il vaudrait mieux ne pas venir lui contester ses ambitions: même des hauts gradés de l’omniprésente et omnipotente Armée nationale populaire (ANP) en ont, ainsi, fait les frais. Leur tort? D’avoir exprimé, même en aparté, leur opposition à une continuation de M. Bouteflika. Une douzaine de généraux, dont ultimement le patron de la police, Abdelkader Kara Bouhadba, ont, pour cette raison, été mis sur la sellette.

Clan présidentiel
L’Etat profond algérien, représenté notamment par les services de renseignement, tenterait selon le bruit qui court de contrebalancer cette toute-puissance présidentielle par l’intermédiaire de Ali Ghediri, qui fut l’aide de camp du général Tawfik Médiène lorsque ce dernier dirigeait le Département de renseignement et de sécurité (DRS); ancienne Sécurité militaire (SM).

M. Ghediri fait d’ailleurs régulièrement l’objet, depuis l’annonce de sa candidature aux présidentielles, d’attaques du clan présidentiel et surtout de l’état-major de l’ANP, rallié en la personne de son chef, le général Ahmed Gaïd Salah, à M. Bouteflika.

En tout état de cause, il y a loin de la coupe aux lèvres d’un changement de régime en Algérie. M. Bouteflika serait bien inspiré, pour une fois, de recouvrer au moins une partie de sa marocanité...

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