Le business occasionnel des petites gens

UNE VIRÉE DANS LE MONDE DES PETITS MÉTIERS DE RAMADAN

Des magasins “spécial Ramadan” ouvrent tandis que d’autres se convertissent en changeant d’activité. Sur les trottoirs aux alentours des marchés, des femmes et hommes, dans le besoin, s’adonnent à des métiers d’à peine un mois.

Comme beaucoup d’autres villes, à Casablanca, plusieurs quartiers se transforment pendant Ramadan en une ruche bourdonnante de vendeurs ambulants occasionnels. A Derb Soltane, des senteurs ramadanesques embaument et envahissent ce quartier populaire au début de l’après-midi, se dégageant de cuisines montées pour l’occasion dans des magasins dont l’activité principale a été convertie pour l’occasion. A l’origine, ces magasins étaient fermés ou dédiés à un autre commerce. Cette transformation d’activité est répandue presque dans tous les quartiers de la ville: Ben Jdia, l’ancienne médina, Aïn Sebaâ, Al Mâarif, Hay Hassani... Dans les souks ou marchés qui se tiennent quotidiennement, de petits métiers d’un mois à peine apparaissent avec, bien sûr, cette senteur ramadanesque qui achalande des clients prêts à acheter tout et n’importe quoi, même des choses qu’ils ne consommeront pas.

Des jeunes et moins jeunes, notamment des femmes de différentes tranches d’âge, se tournent de plus en plus durant ce mois vers des petits métiers, occasionnels certes, mais générateurs de revenus: «chebbakia», «briouates», «meloui», «feuilles de pastilla», «rezet el qadi», jus d’orange, fruits de saison… La liste des galettes, des mets et des produits est diverse et variée.

Femmes battantes
Grâce à une table montée de toutes pièces à partir de morceaux de bois abandonnés, deux fourneaux et deux crêpières en inox, Fatma, 46 ans, veuve et mère de trois enfants, prépare et vend des «feuilles de pastilla». «Faire des feuilles de pastilla n’est pas donné à tout le monde. C’est un savoir-faire qui se transmet de mère en fille. Ces feuilles sont fortement demandés en ce mois sacré. Une activité qui me permet de subvenir aux besoins de ma petite famille pendant Ramadan. Je la change en vendant des mellouis et du pain complet fait maison après Ramadan», déclare-telle les mains et les yeux sur la crêpière. Cette femme battante, comme se plaisent à la qualifier ses voisins au marché, supporte la chaleur extérieure et celle qui se dégage des fourneaux 10 heures par jour. Devant sa «petite fabrique», une longue file d’attente, composée majoritairement de femmes, s’allonge, à tour de rôle. Le kilo de feuilles de pastilla est vendu 30 dirhams.

Nourrir sa famille
«Il faut savoir gérer le temps et la relation avec des clients exigeants, notamment dans l’après-midi ou à l’approche de la rupture du jeûne, où la demande se fait de plus en plus pressante», souligne-t-elle. Comme Fatma, de nombreuses autres femmes, jeunes et moins jeunes, s’adonnent en cette période de l’année à des petits métiers, qui pour nourrir sa famille, qui pour se faire de l’argent de poche. Des milliers de familles reconvertissent l’activité de leurs magasins. Beaucoup de fast-foods ferment. Leurs propriétaires les louent à des artisans de «chebbakia» ou autres mets prisés spécialement pendant ce mois sacré. Au marché de Derb Soltane, les vendeurs ambulants deviennent nombreux, chacun exposant un produit différent pour ne pas faire concurrence déloyale à son «voisin de trottoir». Partout dans les marchés de la ville, ces scènes se ressemblent. Tous les moyens de promotion sont bons pour liquider le premier sa propre marchandise, tellement l’offre concurrente est abondante. Des jeunes hurlent à tue-tête pour attirer l’attention des passants. D’autres vendent leurs produits avec leur misère à des clientes dont l’empathie augmente en ce mois de piété.

La police tolérante
Par dizaines, dans le même endroit, ces vendeurs se donnent rendez-vous dans la matinée de chaque jour que Dieu fait. Ils se tassent sur les trottoirs, bordant les marchés, sous un soleil de plomb. Des paysans des campagnes avoisinantes (Bouskoura, Tit Mellil…) leur tiennent compagnie en cherchant à vendre des oeufs ou des poulets «beldi» de plus en plus rares mais prisés. Exceptionnellement, pendant Ramadan, ces vendeurs sont un peu moins inquiétés par la police ou les agents d’autorité, qui ferment les yeux. Si certains changent de métiers pour «s’adapter», d’autres mettent carrément en veilleuse leur activité en attendant fin Ramadan. D’autres métiers, même en dehors de ce mois sacré, tendent à disparaître. Le cas du marchand d’eau, connu sous le nom de «guerrab», est édifiant. Comme il ne peut plus vendre l’eau dans la journée, encore moins pendant le soir après la rupture du jeûne, il est acculé à mendier, avec sa tenue folklorique qui ne manque pas de séduire les enfants en bas âge. Si le marchand d’eau se cache au moins derrière son «métier» qui ne rapporte plus, d’autres, de plus en plus nombreux, optent pour la facilité et tendent la main pendant le mois sacré. Dans les mosquées et dans les marchés, ils font tout pour quémander avec insistance quelques dirhams à des gens épuisés par le jeûne.

Bref, ces mendiants complètent un tableau où figurent des visages de vendeurs ambulants, femmes, jeunes et moins jeunes, s’adonnant à des petits métiers à l’occasion de Ramadan. Des visages renfrognés sur lesquels se dessinent des signes de pauvreté et de souffrance que les sourires forcés pour plaire au client ne sauraient cacher.

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