Campagne de Masaktach: Les Marocaines se rebiffent



A travers la campagne “Ila dsser sefri”, les Marocaines veulent bien faire comprendre aux harceleurs que l’espace public n’est pas uniquement réservé à la gent masculine.

La Marocaine siffle la fin de la partie, au figuré mais aussi et surtout au propre. Depuis le 10 novembre 2018, beaucoup de nos concitoyennes prennent part à la campagne «Ila dsser sefri» («S’il ne se gêne pas, siffle-le», en darija), qui consiste à souffler dans un sifflet dès lors qu’elles se font harceler dans la rue. En effet, le phénomène du harcèlement des femmes continue de sévir au Maroc, malgré que la loi contre les violences faites aux femmes, censée en théorie criminaliser la chose, est en vigueur depuis le 12 septembre. Pour rappel, cette loi punit d’un à six mois de prison ferme, potentiellement assorti d’une amende pouvant s’élever à 10.000 dirhams, quiconque harcèle une femme, dans la rue mais aussi à travers les moyens de communication comme les SMS, les messages électroniques, etc.

«L’objectif de notre opération n’est pas d’encourager les victimes à se rendre justice elles-mêmes ou à se substituer aux forces de l’ordre et aux juges. Il s’agit tout d’abord de les encourager à dépasser la peur qui les empêche de parler de ce qu’elles subissent, d’autant plus qu’une loi les protège désormais. Malheureusement, aucun effort n’a été fait pour informer et sensibiliser le grand public sur la promulgation et la rentrée en vigueur de cette loi, comme c’est le cas pour d’autres lois ou politiques publiques concernant la sécurité des citoyens et citoyennes ou la santé publique, qui elles aussi sont censées produire un changement de comportement, » nous déclare Loubna Rais, membre du collectif Masaktach, à l’origine de la campagne (en darija, «Ma saktach» signifie je ne me tais pas). Ce collectif, formé d’une douzaine de personnes, dont des hommes, vivant au Maroc et à l’étranger, a pris naissance au moment de la médiatisation de l’affaire de Khadija, cette jeune fille de 15 ans du village de Oulad Ayad, dans la province de Fquih Ben Salah, qui pendant deux mois avait été séquestrée, violée et tatouée par une quinzaine d’hommes selon les éléments de l’enquête de police (l’affaire est encore aux mains de la justice).

Les victimes culpabilisées
Les membres du collectif, qui ne s’est pas encore constitué en tant que tel, sont outrés par la réaction du grand public marocain, qui presque prend à la légère l’affaire, quand il n’incrimine pas la propre Khadija alors qu’elle est la victime présumée. Ils lancent alors le hashtag #Justice_pour_ Khadija, afin de «condamner la culture de violence et de viol à l’égard des femmes au Maroc, qui pousse toujours les femmes au silence et qui tend à les culpabiliser pour ce qui leur arrive,» nous déclare Mme Rais. En même temps éclate la nouvelle affaire du chanteur Saâd Lamjarred, arrêté pour la deuxième fois en moins de deux ans le 27 août dans la ville de Saint-Tropez, en France, pour une affaire de viol présumée (la première affaire remonte au 26 octobre 2016, toujours en Hexagone, dans la ville de Paris).

Dans la foulée, Masaktach lance un deuxième hashtag, #Lamjarrad_Out, pour appeler les radios nationales à déprogrammer les chansons du concerné, qui continuaient toujours de passer. Plusieurs stations s’y plient. L’idée d’utiliser des sifflets pour dénoncer le harcèlement à l’encontre des femmes dans la rue s’inspire d’expériences similaires menées en Inde et au Mexique, où le phénomène est également d’ampleur. Dans le premier pays, c’était les sociétés de transport public qui avaient procédé à la distribution des sifflets, et dans le second, c’est les forces de l’ordre. Pour Mme Rais, cette action, qu’elle qualifie de «pacifique», est de nature, en même temps, «à rappeler et informer le public que la loi est du côté des victimes de harcèlement dans les rues et que les peines et amendes encourues sont bien réelles, mais aussi encourager les femmes à dénoncer les violences verbales et physiques qu’elles subissent et de ne plus subir, en plus des violences, le poids de la honte ou la 7chouma, dans le silence».

Travail de lobbying
«Il s’agit de remettre le harceleur à sa place et la victime à la sienne. La symbolique du sifflet, souvent utilisé comme un moyen de mise en garde contre un abus ou une faute, s’arrête là. Il s’agit d’alerter les gens dans la rue sur l’étendue du phénomène et la fréquence à laquelle les femmes marocaines subissent les attaques et permettre aux femmes d’exprimer leur refus de cette culture avec tous les comportements qu’elle banalise et normalise,» nous indique notre interlocutrice. S’ils croient savoir qu’ils ne feront pas toujours l’unanimité, les membres de Masaktach n’en demeurent pas moins décidés à aller de l’avant. D’autres actions sont prévues afin de faire entendre les voix des victimes de violences, «d’une manière ou d’une autre». L’accent sera notamment mis sur les questions liées aux droits des femmes et leurs libertés et sur les violences subies au quotidien. Interrogée au sujet de la politique féminine de l’actuel gouvernement, Mme Rais avoue ne pas avoir «d’opinion précise». «Nous n’avons pas beaucoup d’informations sur ce que celui-ci entreprend. Nous agissons à notre niveau, auprès de la société civile, pour compléter un travail de lobbying et de plaidoyer que font d’autres associations auprès des législateurs, » nous indique-t-elle.

Elle espère toutefois que les institutions publiques, le secteur privé, les associations ou encore les écoles s’approprient le hashtag #Masaktach pour, selon elle, «capitaliser sur ce succès et déployer des mesures et des initiatives pour s’engager à leur niveau dans cette lutte». A bon entendeur!

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