Le casse-tête Silya


Seule femme détenue du hirak d’Al Hoceima


Arrêtée en raison de son activisme, la musicienne rifaine Silya souffrirait d’après ses avocats de dépression nerveuse. Sa famille redoute le pire.

Pour beaucoup de Marocains, c’est entendu: la population du Rif est machiste. Vous ne verrez jamais d’ailleurs, arguentils, de femmes dans les rues de la région. Silya est-elle alors l’exception qui confirme la règle ou plutôt un démenti aux préjugés? De son vrai nom Salima Ziani, cette jeune musicienne de 23 ans est en tout cas une des figures de proue du mouvement d’indignés rifain du Hirak achaâbi (mouvance populaire, en langue arabe) qui depuis la mort en octobre 2016 d’un poissonnier broyé par la benne tasseuse d’un camion de ramassage d’ordures investit justement la place publique. On peut même dire, sans trop se tromper, qu’elle est actuellement sa personnalité la plus en vue après son leader Nasser Zefzafi.

Après l’arrestation en mai 2017 de ce dernier suite à son interruption d’un prêche du vendredi mettant en cause le Hirak, on la verra d’ailleurs prendre avec Nawal Ben Aissa, une autre Rifaine du cru ayant été vendue un temps comme la successeuse de M. Zefzafi, les commandes des marches et, à défaut, des sit-in de protestation. Silya n’aurait pourtant rien d’une meneuse.

Ce serait plutôt une grande timide à en croire ses proches, qui préfèrent mettre l’accent sur sa «spontanéité». «Les gens l’approuvent parce qu’ils savent qu’elle ne lit pas de mots sous la demande», dit d’elle l’ancien coordinateur du Mouvement pour l’autonomie du Rif, Khamiss Boutakmante, qui est son ami dans la vie.

Il faut dire donc que le Hirak a transcendé Silya. L’indulgence des autorités à l’égard du rossignol du Rif, comme les admirateurs de la musicienne l’appellent, a duré quelques jours seulement. Début juin 2017, Silya tente de se rendre dans la ville de Casablanca, où les figures les plus éminentes du Hirak, dont M. Zefzafi, avaient été transférées pour être interrogées par la brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) après avoir été arrêtés dans la foulée de l’affaire de l’interruption du prêche du vendredi.

Large élan de soutien
En compagnie de deux autres activistes, elle prend un taxi depuis la ville d’Al Hoceïma, où elle vit et où la contestation est la plus forte. Son objectif est d’être présente aux côtés des familles des détenus, dont le procès doit imminemment s’ouvrir. Elle verra, certes, bien Casablanca, mais après avoir elle-même été arrêtée, à peine après que le taxi où elle se trouvait ait démarré. Elle aura également droit à une séance de garde-à-vue dans les locaux de la BNPJ. Son arrestation sera suivie d’un large élan de soutien à son égard.

“Si seulement la patrie savait combien on avait peur pour elle”, a notamment écrit le musicien libanais d’origine palestinienne, Marcel Khalifé, sur son compte sur le site web Twitter, en référence une phrase de la lettre que Silya a fait le 3 juillet 2017 parvenir aux médias depuis sa cellule de la prison locale d’Oukacha à Casablanca, où elle est détenue depuis mi-juin 2017. Intervenant le 6 juillet 2017 lors d’une rencontre avec la société civile dans la capitale, Rabat, le ministre d’État chargé des Droits de l’Homme, Mustapha Ramid, a exhorté son collègue de la Justice, Mohamed Aujjar, à octroyer à l’artiste la liberté provisoire.

“J’espère sincèrement qu’elle obtiendra la liberté provisoire le plus tôt possible”, a déclaré celui qui avait également été, dans le gouvernement d’Abdelilah Benkirane, “garde des sceaux”. Pour sa part, la famille Ziani approuve totalement la démarche de Silya. “Je suis fier du courage de ma fille et je suis prêt à être arrêté avec elle car je porte les mêmes idées pour lesquelles elle s’est sacrifiée”, affirmait son père au lendemain de son arrestation.

Dépression nerveuse
Après lui avoir rendu visite, le 3 juillet 2017, à Oukacha, Me Isaak Charia, qui fait partie des quelque 600 avocats des détenus du Hirak, avait affirmé que Silya souffrait d’une dépression nerveuse. La musicienne serait d’après lui traumatisée par les “agissements” des policiers à son encontre pendant son transfert à Casablanca.

Elle aurait ainsi fait l’objet d’insultes dégradantes et de menaces “terrorisant nos femmes libres”, dont Me Charia n’en dit point plus. S’agit-il de menaces de viol, comme d’aucuns ont cru le comprendre? En tout cas, son dossier est, de même que ceux des autres activistes du Hirak arrêtés, investigué par le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), après des instructions du roi Mohammed VI dans ce sens.

Si, dans sa lettre qu’elle avait fait publier, Silya avait tenu à rassurer sur son moral, force était de constater qu’elle n’avait pas bonne mine lors de son audition, le 12 juillet 2017, à la cour d’appel de Casablanca, qui instruit son cas.

On attendait d’ailleurs, ce jour-là, sa mise en liberté, surtout après l’appel de M. Ramid. Il n’en fut cependant rien. Silya se trouve dans une cellule aux côtés de trois détenues de droit commun. “Elle ne va pas bien, confie une de ses deux soeurs, Fatima. On a peur qu’il lui arrive quelque chose.” Me Charia tient à rappeler que, de tous les activistes du Hirak arrêtés, elle est la seule femme. Silya parviendra-t-elle à remonter la pente? Nul doute que l’amour indéfectible qu’elle porte au Rif lui sera, pour ce faire, d’un grand secours.

Dans sa lettre du 3 juillet 2017, elle clamait que sa région natale était dans son sang. “Je pense au Rif, confessait-elle. Je ressens de la nostalgie.” Elle espérait, par la même occasion, être à la hauteur des attentes à son égard. M. Boutakmante est catégorique. “Silya vaut mille hommes”, assure- t-il. Dans ce Rif où, dit-on, les femmes n’auraient pas voix au chapitre, l’éloge vaut son pesant d’or.

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