Le Maroc est connu pour ses étalages achalandés de toutes les variétés de fruits et légumes et ses épiceries qui croulent sous le poids d’une offre extrême de denrées de consommation courante. En somme, une abondance alimentaire qui atteint des volumes excessifs pendant le Ramadan. Et ce n’est pas la demande qui manque dès lors que, pendant ce mois sacré, l’abstinence diurne n’a d’égal qu’un appétit nocturne franchement immodéré.
Ce n’est donc pas un hasard si les fraudeurs de tout acabit ont choisi ce mois-là pour donner la pleine mesure de leur commerce illicite. Sauf que, cette fois-ci, ce sont des trafiquants de grosse pointure qui ont inondé le marché d’une large gamme de produits alimentaires. Une invasion massive qui a pris le Maroc pour cible. Cela a nécessité la mobilisation de tout ce que le Maroc compte comme services concernés et spécialisés.
Confluence de trois mondes
Une liste fastidieuse d’appellations et de sigles régulièrement livrés par les communiqués des pouvoirs publics, particulièrement les départements relevant du ministère de l’Intérieur. Cela va de la DGSN à la DGST, en passant par Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ), les commissions régionales de contrôle des produits alimentaires et de la qualité, les services vétérinaires et l’Administration des douanes et des impôts indirects.
Chaque jour apporte son lot d’informations sur cette guerre contre ce genre de trafic. Ce qui impressionne, ce sont les quantités et les lieux de stockage. On parle de centaines et tonnes de produits alimentaires périmés, manifestement avariés, dont on a pris soin de falsifier la date de péremption et d’arranger l’emballage. Ils sont fins prêts à l’écoulement tout en étant impropres à la consommation. On y trouve un amoncellement himalayen de dattes, de pâtes, de jus, de confiture, de chocolat, de conserves, d’eaux minérales, de grains de maïs et de confiseries… Rien que des articles qui constituent un danger réel pour la santé des consommateurs. Même le bétail n’y échappe pas, puisque des aliments animaliers, également périmés, font partie des lots saisis. Pour emmagasiner ces empilements gigantesques, les trafiquants ont vu grand. Ils ne se sont pas contentés de caches perdues au fond de ruelles adjacentes. Ils ont prévu d’immenses dépôts qui ont pignon sur rue, donc parfaitement visibles.
C’est là qu’une première interrogation vient à l’esprit. Pourquoi parle-t-on chaque fois de découvertes, alors que tout est à portée de vue, à l’oeil nu? Qu’ils soient en ville, dans la périphérie urbaine ou même en rase campagne, ces grands magasins, tout autant que les opérations répétées de chargement et de déchargement, ne pouvaient passer inaperçus. Encore moins, à l’insu des autorités de proximité. Il est vrai que le hasard, parfois, fait bien les choses. C’est le cas, par exemple, de cette camionnette contrôlée par un barrage inopiné de police, à Tanger, lundi 22 juin 2015. Dès les premières investigations, les enquêteurs ont été aiguillonnés vers un immense dépôt situé dans la zone industrielle de Gzenaïa.
Quelque 68.892 bouteilles de jus, de toutes formes, dont une grande partie périmée, y étaient entreposées. Hallucinant. À ceci près que le hasard, il faut certes le susciter, le provoquer, mais pas trop le charger; car, il ne peut pas avoir bon dos à l’infini.. L’autre interrogation concerne l’entrée au pays et l’acheminement de ces quantités énormes de marchandises. La position stratégique du Maroc, à la confluence de trois mondes, européen, africain et arabe, est incontestablement bénéfique, à plus d’un titre.
Des voisins empoisonneurs
D’un autre côté, elle est de nature à fragiliser un pays, comme le nôtre, qui a toujours voulu être ouvert sur l’extérieur. Les postes-frontières, maritimes, terrestres ou même aériens, sont un peu plus névralgiques qu’ailleurs, précisément en ce qui concerne la circulation des biens et des personnes.
Majoritairement importés, ces produits nous viennent essentiellement d’Espagne, depuis les présides occupés de Sebta et Mélilia. Ils peuvent également provenir d’Algérie. Pour s’en convaincre, il suffit de faire un tour du côté d’Oujda et de Nador et de l’exposition à ciel ouvert de la foultitude d’articles venus de l’autre côté des frontières. Les Espagnols ne demandent qu’à se débarrasser de ces tonnes de produits périmés, et tant mieux s’ils sont toujours vendables. Même y mettre le feu serait polluant pour l’air ambiant. Pour nos chers voisins de l’Est, quant à eux, tous les moyens sont bons pour nous empoisonner la vie, un peu plus. Dans les deux cas de figure, on est mal logés…
Dans ces zones frontalières, toutes les fonctions de surveillance et de contrôle sont hypersensibles. Ceux qui les remplissent sont régulièrement mis à l’épreuve de la tentation de tirer profit d’une contrebande fructueuse; ou d’un sentiment du genre “Je ne suis pas concerné et advienne que pourra”. C’est très vraisemblablement à ce niveau que se situe la faille. Jusqu’ici, nos services ont fait preuve d’excellence dans la surveillance du territoire, face à la menace terroriste, potentielle ou réelle.
Il n’empêche qu’au niveau des points d’accès au pays, beaucoup reste à faire. Par rapport au sujet qui nous préoccupe, il ne s’agit pas moins que d’une forme de terrorisme alimentaire. D’une atteinte grave à la sécurité sanitaire du public.