Driss Jettou fait le grand ménage

C’est vers lui que que le roi Mohammed VI se dirige en priorité lorsqu’il s’agit de passer au crible la gouvernance de l’Etat.

«Dis-lui que c’est Jettou qui m’a envoyé»: cette petite phrase, ou plutôt cet ordre donné en octobre 2018 par le président de la Cour des comptes, Driss Jettou donc, à un subalterne en marge de l’ouverture de la session d’automne du Parlement avait fait le buzz sur les réseaux sociaux marocains, dans la mesure où il avait renvoyé pour un certain nombre de leurs utilisateurs à l’usage peu reluisant que font de nombreux commis de l’État de leurs positions. Mais c’était, pour ainsi dire, tombé sur le mauvais bonhomme: depuis son arrivée aux commandes en août 2012 en remplacement de Ahmed El Midaoui, l’ancien Premier ministre (octobre 2002-octobre 2007) a, bien au contraire, brillé par ses rapports à charge à l’encontre de ceux-là mêmes avec lesquels on avait tenté de l’associer.

Un buzz de mauvais aloi
Le maire d’Oujda, Omar Hjira, son prédécesseur, Lakhdar Haddouch, ou encore le président du conseil de la région de l’Oriental, Abdenbi Bioui, peuvent sans doute en témoigner, puisque, justement, c’est sur la base d’un de ces rapports qu’ils se sont vu condamner, le 20 mars 2019 par la cour d’appel de la ville de Fès, à diverses peines de prison.

Les trois hommes, ainsi qu’une quinzaine d’autres personnes également écrouées, se sont rendus coupables selon la justice et donc de la Cour des comptes de diverses malversations et détournements de fonds au cours de leurs années de mandat; principalement entre 2006 et 2009. Gageons qu’ils ne seront pas les dernières victimes de M. Jettou.

En tout cas, le roi Mohammed VI, qui avait expressément sorti le concerné de sa retraite après avoir été visiblement satisfait de son temps à la primature -il l’avait pour rappel décoré, en juillet 2008, du grand cordon du Wissam Al Arch-, semble grandement compter sur lui, puisque c’est vers lui qu’il se dirige désormais en priorité lorsqu’il s’agit de passer au crible la gouvernance à quelque niveau que ce soit de l’Etat.

Victimes en série
Ainsi, alors que le Hirak ach-chaâbi (mouvement de protestation populaire) battait son plein au Rif en juin 2017, le Souverain lui avait confié, à l’issue d’un conseil des ministres où plusieurs responsables du cabinet de Saâd Eddine El Othmani s’étaient pris un savon, le soin d’inspecter le chantier du programme de développement spatial de la province d’Al-Hoceima «Manarat al-Moutawassit» (phare de la Méditerranée, en arabe), dont il avait présidé le lancement dans la ville de Tétouan en octobre 2015 et dont la réalisation en temps et en heure aurait pu prévenir les manifestations.

Verdict quelques mois plus tard, le 24 octobre 2017: oui, il y a eu plusieurs manquements de la part de responsables passés et présents. Vont alors trinquer, suite à la présentation du rapport final de M. Jettou, le ministre de l’Éducation nationale, Mohamed Hassad, celui de l’Aménagement du territoire national, Mohamed Nabil Benabdallah, celui de la Santé, El Houcine Louardi, et le secrétaire d’État chargé de la Formation professionnelle, Larbi Bencheikh.

Cinq de leurs anciens collègues dans le gouvernement Abdelilah Benkirane, sous lequel avait commencé le Hirak, se verront, eux, signifier la non-satisfaction royale: Rachid Belmokhtar Benabdellah, Lahcen Haddad, Lahcen Sekkouri, Mohamed Amine Sbihi et Hakima El Haïté. «Aujourd’hui, tout le monde craint Jettou,» lâche un responsable. «Quand ses équipes arrivent dans votre administration, c’est sûr qu’ils vont consciencieusement faire leur travail.»

Institutions dans le point de mire
Un autre d’ajouter: «Avant, les responsables croyaient qu’il s’agissait d’un pur formalisme et qu’ils ne risquaient rien, quand bien même les éléments à leur encontre puissent être accablants. Mais maintenant avec la condamnation de Hjira et de Bioui, qui ne sont pas n’importe qui puisque ce sont des hommes forts de l’Oriental depuis plusieurs années, il s’agit d’un signal clair et net de la part de la justice.»

Parmi les autres institutions dans le point de mire de la Cour des comptes, le groupe OCP (Office chérifien des phosphates), même si ce dernier semble davantage accuser quelques problèmes au niveau de la planification de l’activité ou encore de la programmation de la production que de véritables dysfonctionnements. Son président- directeur général, El Mostafa Terrab, a d’ailleurs bien accueilli les remarques de la Cour des comptes et les a même qualifiées de «pertinentes », selon ce que rapportent différents médias de la place.

Éléments à charge
Mais en filigrane, le message est facilement saisissable: même un établissement généralement exempt de reproches comme le géant phosphatier paiera, au besoin, les pots cassés si d’aventure il levait le pied. On rappelle d’ailleurs qu’outre les responsables de l’Oriental condamnés à Fès et les ministres mis en cause dans la non-réalisation de Manarat al-Moutawassit, les anciens directeurs généraux du groupe CDG (Caisse de développement et de garantie), Anas Houir Alami, et de la Compagnie générale immobilière (CGI), Mohamed Ali Ghannam, en procès depuis le 3 avril 2018 pour des défaillances techniques dans la réalisation du projet Madinat Badès dans la banlieue Al-Hoceima, doivent répondre à de nombreux éléments à charge produits dans un rapport de la Cour des comptes publié à ce propos. Il vaudrait sans doute mieux, pour certains, que M. Jettou n’envoie personne...

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