Le flou de la navigation à vue

Driss Fahli

Le premier ministre "communique" enfin après deux mois de silence.

Ça y est. Maintenant que le gouvernement a subi la friction royale, il s’est décidé enfin à travailler. Il va dès à présent aborder avec une attention particulière, les revendications sociales et le développement régional du Maroc. Il va, en outre, accorder un sérieux prémium aux interminables manifestations sociales et itératives d’Al Hoceima. Pour la marmite rifaine qui n’arrête pas de souffler son chaud, le gouvernement adopte deux approches: Une première politique basée sur un dialogue qui n’arrive pas à s’établir faute d’un manque de crédibilité dans les instances gouvernementales et une autre basée sur le développement de la région. Cette dernière sera à l’ordre du jour d’un blabla hebdomadaire des ministres impliqués. Théoriquement, les ministres responsables des retards d’exécution, et à leur tête l’ex-premier ministre Benkirane, devront payer de leur peau le délaissement des projets de la région.

Animé par le gourdin royal, le Premier ministre (PM) s’est même fondu d’une communication télévisée peu convaincante après deux mois de silence pernicieux à contempler le déroulement confus des évènements du Hirak et leur buzz viral. L’exercice télévisé est un premier du genre pour un PM craintif et fuyant dès qu’il s’agit de moralisation de la vie publique, de tensions au sein du PJD ou de libération des détenus du Hirak. On apprend, durant cet exercice, que tout ce qui a été dit sur les manifestations du Rif concernant le séparatisme et autres qualificatifs de dissidences, n’aurait pas dû être dit. Pour ce qui est des prisonniers des manifestations, notre PM nous dit que la justice marocaine est maintenant totalement indépendante dans ses décisions alors que ses juges sont encore sous la coupe hiérarchique d’un ministre de la Justice. C’est ce genre de déclarations qui empestent la tromperie qui décrédibilisent les discours politiques et les institutions.

Pour ce qui est de la moralisation de la vie publique et de la corruption, il est normal d’avoir des moutons galeux dans les institutions électives et partisanes. Cela ne veut pas dire que tous les moutons le sont. Dans tous les cas, dit-il, la justice est là et tout le monde est justiciable. Du flou et encore du flou. Hier, les manifestants du Rif n’avaient pas raison, aujourd’hui ils ont tous les droits, ils étaient séparatistes, ils ne le sont plus. Hier on lançait la flexibilité du dirham, aujourd’hui c’est reporté sine die aux calendes grecques.

C’est à croire que le flou est devenu l’élément capital du jeu politique à la marocaine et qu’il s’est imposé en système de gouvernement. Il faut dire qu’avec mes repères coutumiers qui datent, je suis désorienté par ce tohu-bohu chaotique des événements. Aujourd’hui, la tournure des faits sociaux impose de ne pas choquer, de ne pas contrer de front, de ne pas s’engager de façon précise, de passer des compromis et de tenir compte du rapport des forces et du buzz médiatique. On a le sentiment que tout glisse, tout varie et que tout engagement est fait pour être violé une fois les échaudés calmés. Communiquer pour se réfugier dans le vague des mots et des ambiguïtés glissantes ne peut que redoubler les inquiétudes de la population et exciter les colères.

Le vague de l’idéal comme discours pour calmer les appétences de justice sociale et masquer l’indétermination de l’action politique n’est certainement pas l’antidote approprié à la situation empoisonnée actuelle

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