Haja Zahra Bouali, vétérane de la peinture marocaine. Peindre pour résister, se souvenir et inspirer


Alors que le soleil illumine les vieux murs de la cité portugaise d’El-Jadida, Haja Zahra Bouali, 91 ans, se tient debout devant la salle d’exposition, accueillant le public pour son exposition et se démarquant comme un symbole de résilience, d’art et d’engagement politique.

Née à El Jadida en 1932, la vie a lancé à Haja Zahra son lot de défis. Orpheline à l’âge de six ans, envoyée dans la rusticité de la campagne près de Sidi Bennour, dans l’arrière-pays Doukkala, elle a trouvé dans l’art un refuge, un moyen d’expression, et finalement, une vocation. Elle se souvient, encore que «chaque épreuve, chaque déménagement, chaque adaptation était une toile vierge, [l]’invitant à peindre mon chemin, à tracer [s]a voie.» Les voyages avec son mari, militaire de carrière, ses rencontres avec différentes cultures,... tout cela a façonné sa perspective unique. Mais ce n’est qu’au moment qu’elle est devenue veuve que le dessin est devenu sa principale occupation. Avec chaque coup de pinceau, elle explorait ses sentiments, sa douleur et sa résilience. «Il était mon roc, mon soutien,” confie-t-elle, en parlant de son défunt mari. “Après son départ, le dessin est devenu mon compagnon. À travers lui, je lui parle, je raconte notre histoire.»

Haja Zahra n’est pas une artiste qui se contente de peindre des paysages idylliques ou des portraits sans âme. Son art est profondément ancré dans les réalités sociales, économiques, et politiques de son époque. Parmi les œuvres qu’elle chérit le plus, il y a cette peinture qui dépeint un jeune garçon de 12 ans, les yeux emplis de détermination et de peur, fuyant l’armée française. «Je l’ai sauvé,» murmure-t-elle, les larmes aux yeux, «après qu’il ait brûlé les champs de blé destinés à la France. “Je l’ai caché chez moi pour des jours et des jours, alors que les français le cherchaient, je l’ai soigné et protégé tout en risquant ma vie et celle de mes enfants”. C’est que Haja Zahra n’était pas seulement une spectatrice de cette époque tumultueuse, mais une une actrice fervente. Militante passionnée, elle voit d’ailleurs dans l’art un moyen d’expression et de résistance. «L’art n’est pas seulement une affaire de beauté”, dit-elle avec conviction. “Il est un témoignage, une voix, une arme. J’ai vu tant d’injustices, tant de sacrifices. Mes tableaux sont ma façon de rendre hommage à ces héros silencieux.»

Par ailleurs, ses tableaux abordent avec courage des sujets tels que la migration irrégulière. Elle a peint des scènes déchirantes de familles se frayant un chemin à travers des déserts impitoyables, ou des vagues sans merci, cherchant une vie meilleure, mais rencontrant souvent la mort ou la déportation.

L’éducation est une autre thématique chère à son cœur. Pour Haja Zahra, «l’art éduque, élève et inspire”. “Il est essentiel que nos jeunes connaissent notre histoire, qu’ils sachent d’où nous venons et les sacrifices faits pour notre liberté,» poursuit-elle. Avec une telle passion, il n’est pas étonnant qu’elle ait insisté pour accueillir personnellement chaque visiteur de son exposition, partageant avec eux les histoires et les leçons cachées derrière chaque toile.

Appel universel
Mais peut-être que le sujet qui lui tient le plus à cœur est celui de la guerre et de la paix. Son militantisme pour l’indépendance du Maroc est immortalisé dans ses œuvres, mais elle ne s’arrête pas là. Un tableau particulièrement poignant présente le drapeau de l’Ukraine, orné d’une colombe de la paix. «C’est un appel universel,» explique-t-elle, «un rappel que chaque nation, chaque peuple aspire à la paix, à la dignité, à la liberté.»

Pour Haja Zahra, l’art n’est pas un passe-temps, c’est un devoir. Elle croit fermement que chaque artiste a la responsabilité de refléter les réalités de son temps, de poser des questions inconfortables, de provoquer des conversations. Ses tableaux, emplis d’émotion brute et d’histoire, sont un miroir tendu à la société, nous exhortant à voir au-delà de notre quotidien, à reconnaître et à adresser les injustices qui nous entourent.
Haja Zahra est une force de la nature. Bien qu’elle ait 91 ans, elle ne montre aucun signe de ralentissement. Pour elle, il y a encore tant d’histoires à raconter, tant de tableaux à peindre.

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