HASSAD, AKHANNOUCH, BARAKA, LES HOMMES DE DEMAIN



Enfin! Le Parti de l’Istiqlal (PI) tient son XVIIème congrès, à Rabat, du 29 septembre au 1er octobre 2017. Un rendez-vous qui va permettre d’élire le secrétaire général de cette formation, alors que Nizar Baraka s’est déclaré candidat, lundi 25 septembre, et que Hamid Chabat, dirigeant sortant, ne paraît pas baisser les bras. Il était temps que cette formation mette de l’ordre dans ses rangs par suite de près de quatre années passablement heurtées, voire chaotiques.

Recoller les morceaux
L’on peut donc parler d’une normalisation qui n’a que trop tardé. Elle se déploie en même temps à deux niveaux: celui de l’unité de ce parti et celui de sa réinsertion potentielle dans la majorité. Pour ce qui est de cette formation, force est de faire ce constat: jamais elle n’avait connu autant de divisions et de spasmes. Après la scission de 1959 qui avait conduit à la création de l’USFP, le parti était un bloc soudé, avec une forte culture d’adhésion; ce que l’on pourrait appeler un patriotisme partisan marqué.

Il y a eu bien des rivalités –M’Hamed Boucette/ M’Hamed Douiri–, des ambitions concurrentes, des bouderies et des états d’âme aussi mais, au final, prévalait toujours un consensus. Ce mode d’emploi et de fonctionnement a marqué pratiquement près de quatre décennies, de 1974 à 2012, Abbas El Fassi succédant en 1998 à M’Hamed Boucetta. Il n’a été remis en cause qu’au XVIème congrès avec l’intrusion de Hamid Chabat, député maire de Fès, responsable du syndicat UGTM.

Lors de ces assises, qui se sont étirées sur trois mois jusqu’au 23 septembre 2012, une profonde division a opposé Chabat à Abdelouahed El Fassi, le premier se faisant élire par 478 voix contre 458 pour le second, dans des conditions d’ailleurs sujettes à caution. L’ancien ministre de la Santé, fils du leader historique istiqlalien Allal El Fassi, a créé ensuite le mouvement Bila haouada (sans répit), prolongeant ainsi une crise dans les structures du parti et ses multiples organisations parallèles.

Comment recoller les morceaux et ressouder les rangs? Nizar Baraka s’en est expliqué lors des derniers mois en préparant et en expliquant les raisons de sa candidature. Il vient encore de les souligner lors de la conférence de presse qu’il a tenue lundi 25 septembre 2017. Il ne se présente pas contre Hamid Chabat, mais pour d’autres motivations: un projet, une approche participative, une nouvelle offre istiqlalienne. Il a sillonné durant des mois le Royaume, il a tenu des dizaines de réunions sur le terrain, il a même fait un sondage pour mieux appréhender les attentes et les besoins des électeurs et des militants. Un matériau, donc, qui l’a aidé à prendre davantage en compte l’état d’esprit de la base ainsi que des cadres et des élus.

Subjectivisme et clanisme
Ce faisant, il évacue les facteurs qui ont aujourd’hui détérioré le climat au sein de son parti et qui ont pour nom le subjectivisme, le clientélisme et même le clanisme. Prenant du recul, il entend opérer le renouveau. Comment? En jouant la carte de l’union de tous les Istiqlaliens, en proposant un programme pragmatique aussi. Il faut y ajouter autre chose: une nouvelle gouvernance.

Une parenthèse pénalisante
Il a ainsi proposé de renforcer la place et le rôle des inspecteurs du parti, qui sont l’une des ossatures du maillage organique territorial, il défend également le principe de programmes contractuels entre le parti et ses structures locales et régionales et les 200 communes et les deux régions qu’il dirige. Il prône enfin davantage de démocratie interne, d’autocritique sans oublier des mécanismes en interne de règlement des différends.

Toutes ces propositions seront-elles validées par le XVIIème congrès? L’opinion dominante est qu’elles sont en phase avec l’état d’esprit et les attentes des militants, lassés et démobilisés par certaines pratiques lors des années écoulées. Mais, en plus de cet enjeu de rassemblement, d’unité et de mise à niveau de l’appareil istiqlalien, une interrogation de belle taille taraude cette formation et interpelle ses effectifs: que faire de ce parti demain? Doit-il rester sur une “ligne” Chabat tellement pénalisante, qui a conduit au passage à l’opposition en juillet 2013 après un an et demi houleux au sein du cabinet Benkirane, nommé le 3 janvier 2012? Ou bien ne doit-il pas corriger cette parenthèse pénalisante qui a isolé le parti dans le champ politique national? C’est ici que va se traduire la normalisation totale et optimale par une nouvelle direction incarnée par un profil tel que celui de Nizar Baraka. Comment peut se faire un tel processus? Et quelles conséquences pourrait-il avoir sur la configuration actuelle du système partisan et, plus précisément, des contours de la majorité et de l’opposition?

Vocation gouvernementale
Ce qui est en jeu, ce n’est rien de moins que le retour au gouvernement. Hamid Chabat n’a pas amélioré le score du Parti de l’Istiqlal aux élections législatives du 7 octobre 2016, lequel avec 46 sièges a été en recul de 16 sièges par rapport à 2011. Plus encore: il a conduit ce parti à l’opposition en juillet 2013. Une situation problématique puisque cette formation était dans tous les cabinets depuis celui de l’alternance de 1998 et qu’elle avait même dirigé le gouvernement 2007-2011 avec son précédent secrétaire général, Abbas El Fassi.

Un positionnement qui ne peut évacuer une impasse surtout que Chabat a opéré, lors de son mandat depuis septembre 2012, bien des revirements, s’opposant au Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, puis se ralliant à lui dès sa nomination comme Chef du gouvernement désigné le 10 octobre 2016.

L’échec du leader du PJD à former une majorité et la nouvelle formule mise sur pied avec Saâd Eddine El Othmani, le 5 avril 2017, a fortement pénalisé le parti de Hamid Chabat, rejeté dans l’opposition, contrariant ainsi sa vocation gouvernementale. Le processus actuel de normalisation de la formation istiqlalienne mené par Nizar Barak entend corriger cette situation. Mais ne participe-t-il pas également d’une autre préoccupation dépassant ce parti, et ce avec des enjeux plus importants.

De quoi s’agit-il? De créer les conditions d’un retour du PI au gouvernement, sans doute. Mais aussi d’élargir la dimension d’alliés actuels du PJD au sein du cabinet. Avec une éventuelle participation de ce parti à la majorité, n’est-ce pas en effet la place du PJD qui va se trouver réduite et étriquée? Dans le cabinet actuel de 39 membres, il faudra bien se serrer pour faire une place au PI –et une place non marginale, à des postes secondaires… Seuls, sans la formation istiqlalienne, le RNI, le MP, l’UC et l’USFP n’ont qu’un poids relatif. Les trois premiers supportent toujours et pâtissent de la qualification de partis “administratifs”; le seul héritier du mouvement national et de la Koutla, à savoir l’USFP, est une formation affaiblie. En s’alliant avec le PI, c’est une combinaison qui a une épaisseur historique et un référentiel de légitimité d’une autre teneur. Au sein de la Chambre des représentants, elle totalisera 143 sièges (PI: 46, RNI: 37, MP: 27, USFP: 20 et UC: 19); le PPS, avec ses 12 sièges, n’étant pas forcément partie prenante dans cette alliance. Un chiffre qui dépasse les 125 membres du PJD.

Sans céder à un prévisionnisme inopérant en politique, deux hypothèses de travail peuvent être retenues. La première est celle d’un reformatage de l’actuelle majorité à mi-législature au plus tard (2018-2019), lié à une situation devenue ingérable pour le PJD d’El Othmani et de Benkirane, quel que soit d’ailleurs le statut de ce dernier au lendemain du congrès de son parti, les 9 et 10 décembre 2017. Il y a tant de dossiers appelant à des arbitrages qui peuvent en effet ébranler la cohésion et la solidarité de la majorité actuelle. De plus, la pente en faveur d’un retour à l’opposition que défendent, quoi qu’on en dise, Benkirane et les siens (parlementaires, conseil national, élus locaux, jeunesse…) poussera dans ce sens si un accord peine à se faire au sein du gouvernement sur des réformes et des mesures.

Retour à l’opposition
Dans ce schéma, le PI de Nizar Baraka sera un précieux allié et il dispose d’une belle machine organique, de relais et d’un capital de valeurs lui donnant une identité et une légitimité. Nizar Baraka s’est d’ailleurs déjà placé dans cette rupture quand il souligne que le PJD est un concurrent, que Benkirane a un bilan négatif et que sa formation puise pratiquement dans le même socle qu’elle (Islam, arabité, justice sociale, démocratie…).

La seconde hypothèse regarde, elle, l’horizon 2021 avec donc un gouvernement El Othmani de législature. Est-elle plus probable que la première d’un écourtement du mandat de ce cabinet? En tout état de cause, tout paraît se passer comme si “trois jokers” principaux étaient soit en préparation (Mohamed Hassad, Nizar Baraka), soit encore en concentration avec Aziz Akhannouch, président du RNI depuis octobre 2016. Mohamed Hassad, ancien ministre de l’Intérieur, aujourd’hui en charge du département de l’Éducation nationale, a été nommé sous l’étiquette du MP. Rien ne prédisposait en principe ce responsable à bénéficier, le 5 avril 2017, de ce parrainage partisan. Il a été accueilli –avec satisfaction?– par les caciques du MP et il a sa place au sein du bureau politique haraki.

Un management efficient
Certains estiment qu’il sera appelé à succéder à Mohand Laenser, au prochain congrès du MP, prévu au printemps prochain, ce dernier ne sollicitant pas un nouveau mandat. Son adoubement par ces assises-là aurait plusieurs avantages: barrer la route à des candidats –anciens ministres ou autres– ne paraissant pas jouir de crédibilité; confier le MP à un profil avec un tempérament de choc, fonceur, remobilisant ce parti plutôt invertébré autour de réseaux de notables, frileux et carriéristes.

Nizar Baraka serait le deuxième “joker” apportant un sang nouveau à une formation historique par suite d’un management efficient et d’une expérience publique éprouvée (ministre des Affaires générales dans le cabinet El Fassi puis ministre de l’Economie et des Finances dans celui de Benkirane entre 2012 et 2013, puis président du Conseil économique, social et environnemental depuis août 2013.) Enfin, le dernier “joker”, Aziz Akhannouch. Il s’apparente à un “coach” des alliés du PJD depuis la nomination du nouveau cabinet, voici six mois.

Un statut privilégié
Il avait déjà pratiquement préempté ce statut privilégié lors des négociations infructueuses avec Benkirane d’octobre à mars. Avec le concours éventuel du Parti de l’Istiqlal à terme, la formation islamiste se trouverait insérée dans une triangulation bâtie autour de ces trois personnalités. Un tiercé soutenant le Chef du gouvernement El Othmani et formant avec ses députés la majorité mais dans un rapport de forces à ajuster en permanence et sans garantie de discipline, de solidarité et de stabilité jusqu’à 2021. Un PJD encadré astreint à un compromis et à une gouvernance délibérative, consensuelle. Faute de quoi...

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