Le Hirak du Rif appelé à se décanter

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Donner du temps au temps


A propos du Rif, le dernier discours du Trône est petit à petit suivi d’effets, dans les temps qui prévalent quand il s’agit d’un État et de son chef.

Le Rif continue de faire l’actualité marocaine. Ou même encore, celle-ci devient presque uniquement rifaine. Le dernier discours du trône a, à cet égard, été révélateur, par la portée nationale des questions dont généralement il se saisit et celle qu’il peut accorder aux problématiques de différents ordres. Al Hoceima n’a, ainsi, été nommément citée qu’une seule fois. Mais entre les lignes et au détour de chaque constat dressé par le Souverain, c’était immanquablement la cité d’Abdelkrim qu’on retrouvait. Depuis juillet et plus particulièrement depuis ce discours, un changement est indéniablement en train d’être opéré. Le jeu de bascule a son rythme, celui que commande le temps long dans lequel un État et son chef doivent obligatoirement inscrire leurs actions. Et à cause de cela et donc suite à cela, il ne faut absolument pas se laisser emporter par le désir de coups d’éclat à la demande.

Redistribution des cartes
En vérité, mieux vaut toujours attendre et voir. La politique, après tout, est le champ des possibles. Premier signe et le plus visible de la redistribution en cours des cartes, le départ d’Ilyas Elomari du PAM. Ce dernier, pour ceux qui ne le connaissent pas, doit son ascension d’abord à son volumineux carnet d’adresse (gauche d’ici et là, mouvement amazigh, ONG) mais surtout a l’idée d’être un représentant du Rif et d’avoir une emprise sur et dans la région (à laquelle on voulait de la sorte accorder une place au sein des institutions). Mais à mesure que le Hirak a pris de l’ampleur, il s’est avéré qu’il n’en était rien.

Les manifestants, et au premier chef desquels leur leader Nasser Zafzafi, l’ont littéralement vomi. Sur la place publique, lui et d’autres figures du terroir (son acolyte Hakim Benchamach notamment) ont été traînés dans la boue. Le PAM? Une officine politique. Eux? Des traîtres, carrément. Au procès qui leur a été intenté, ils ont ainsi été, et à la quasi unanimité, marqués au fer rouge. Elomari n’a, de fait, jamais pu approcher le coeur battant du Hirak, ni même à distance présenter une solution de médiation (sa conférence de juin à Tanger a, ainsi, été un échec retentissant). Il n’avait, après coup, qu’à se faire petit, et trouver une porte de sortie honorable, ce qu’il fait en démissionnant le 7 août de ses responsabilités partisanes (il avait à peine été élu un an et demi plus tôt), en attendant peutêtre la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima et la politique tout court.

Et on peut croire, pour revenir à notre sujet, que sa décision ne soit pas de son unique fait et qu’elle ait au moins été débattue ailleurs, sachant qu’Elomari faisait partie, au même titre que la majeure partie de la classe politique, des principales cibles du discours du Trône. Une personnalité à qui il aurait récemment rendu visite, Fouad Ali El Himma, ami dans la vie de l’intéressé, aurait à ce titre reconnu que plus généralement le PAM avait été une erreur (il a fait partie de ses fondateurs).

Confiance partagée
S’agissant par ailleurs des détenus rifains, les tentatives de médiation se poursuivent. Après notamment le CNDH (institutionnel) et des personnalités associatives tels Salah El Ouadie, c’est Noureddine Ayouch qui désormais se plie à l’exercice. Le publicitaire, proche du Palais de son propre aveu, a ainsi rendu visite à Zafzafi et co dans la prison d’Oukacha, où il a longuement échangé avec chacun d’eux et pris acte de leurs doléances. On peut y avoir ainsi, indépendamment de la sulfureuse réputation du personnage -critiqué pour s’inviter à des débats dont il n’est pas toujours un spécialiste, à l’instar des élections ou de la darija- une tentative sincère d’en finir avec la situation à Al Hoceima et permettre aux populations de profiter d’une ville et d’une région à la hauteur de leurs espoirs. Et cela, quand bien même on estimerait encore que les intéressés soient des séparatistes inavoués et qu’ils seraient téléguidés depuis l’étranger (ce qu’on peut mettre en cause). On peut du reste croire que les choses pourraient enfin bientôt se décanter, après près de onze mois de tensions. Cette fois et davantage que les autres, la confiance semble en effet partagée par tous. «Les rencontres étaient excellentes,” a confié Ayouch aux médias.

Lames de fond
Reste sinon la question de l’après. Après tout, on n’imagine pas la situation s’éterniser. Dès que le calme reprendra sa place et les choses leur cours normal, on peut même s’attendre à ce que tous les détenus soient libérés (hormis ceux dont les délits ne seraient pas à proprement parler politiques, comme c’est le cas dans l’atteinte aux biens et aux personnes). Dans les faits cependant, les manifs qui ont suivi la mort de Mohssine Fikri sont révélatrices de tendances lourdes et qui, par leur espacements dans le temps, donnent l’impression d’être absentes. Elles sont toutefois là, latentes, et pourraient encore se révéler à n’importe quel nouvel incident.

Ainsi, si pratiquement chaque génération rifaine (1958, 1984 et avant la guerre du Rif) connaît un moment où elle entre quasiment en opposition avec le pouvoir à Rabat (ce qui ne veut pas dire pour autant la monarchie), ce n’est assurément nullement le fruit du hasard. Mohammed VI, qui depuis son intronisation a toujours fait preuve d’une grande perspicacité et d’une grande clairvoyance, doit intimement le savoir.

Le rapport que les inspections de l’Intérieur et des Finances lui ont préparé pour expliquer et mettre la lumière sur les retards dans la mise en application des programmes de développement dans le Rif devrait sans conteste être suivi d’effet, et on ne doute pas que quand elle frappera, la main royale ne ratera pas. Mais ce n’est nullement de cela qu’il s’agit uniquement mais d’un travail de longue haleine à faire sur les lames de fond. Ce fut, en 18 ans de règne, toujours la politique de Mohammed VI, et ce n’est qu’à l’aune de l’histoire que son action saura en définitive prendre sa pleine mesure et être comprise par tous.

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