L'homme qui veut mettre fin au pouvoir des Islamistes

AKHANNOUCH ET LE RNI EN ORDRE DE BATAILLE POUR 2021

Lentement mais sûrement, le président du Rassemblement national des indépendant a su ériger son parti en principal rival du PJD.

Il est là, il est partout, il laboure, il communique, il réplique; il réagit et sort en patrouille; enfin, il décline une communication tout-terrain. Il ne veut pas s’en laisser conter par la formation islamiste qui s’est installée pratiquement au centre du champ politique national depuis 201I et qui entend perdurer dans cette fonction. Tel est aujourd’hui Aziz Akhannouch, ministre et président du parti de la colombe depuis trois ans. A-t-il voulu cela? A-t-il programmé ce parcours dans l’on ne sait trop quel «business model» politique inspiré de ceux qu’il élabore dans l’empire de ses entreprises? L’investissement dans la politique, il y est venu par petites touches, suivant des séquences successives qui ont été capitalisées et qui ont fini par porter leurs fruits sans doute bien au-delà de ses visées de départ. Au commencement, un mandat local régional (président du Conseil de la région Souss-Massa-Drâa en 2003 et réélu en 2006). C’est le premier pied à l’étrier. Notable, avec une assise sociale importante, fils d’une figure de la résistance -Hadj Ahmed Oulhaj Akhannouch-, il a ensuite décroché la députation jusqu’à la précédente législature (2011-2016).

Processus d’affirmation
Ministre de l’Agriculture et de la pêche maritime depuis octobre 2007 dans les cabinets El Fassi, Benkirane et El Othmani aujourd’hui, c’est évidemment un «poids lourd» dans ce gouvernement. Son poids et son influence politique se sont renforcés depuis près de quatre ans tant lors de la période de six mois du Chef de gouvernement désigné Abdelilah Benkirane (octobre 2016-mars 2017) que dans celui de son successeur, Saâd Eddine El Othmani, investi à la fin avril 2017 par la Chambre des représentants. C’est avec sa désignation comme président du RNI, à la fin octobre 2016, à la suite de la démission de Salaheddine Mezouar, qu’il s’est taillé un costume de leader s’apparentant à un Chef de gouvernement bis...

Au sein du parti, ce processus d’affirmation de son autorité n’a pas été simple. Il avait quitté ce parti le 2 janvier 2012 pour être reconduit à la tête de son département comme «SAP» dans le cabinet Benkirane nommé le lendemain. Il avait même annoncé au début du mois de mai 2016 son retrait de la politique, déclarant qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat parlementaire. Dans une formation comme le RNI où des «historiques» estimaient qu’ils avaient des titres de légitimité d’une autre facture, la pilule a été passablement amère à avaler... Il a eu aussi à transcender les séquelles des départs de Mustapha Mansouri en avril 2008 puis de Salaheddine Mezouar, huit ans après.

La «mère des batailles»
Les égos des uns et les ambitions des autres minaient en effet ce parti. Aziz Akhannouch a pu et su les gérer. Comment? Par l’écoute, la modestie de son comportement et la mise en oeuvre d’une dynamique de mouvement. En lieu et place des conciliabules de couloirs et des états d’âme dans les salons, il a instillé à marche forcée le déplacement sur le terrain, le contact avec les élus, les cadres et les citoyens.

L’année 2017 a été à cet égard un périple continu dans pratiquement toutes les régions du Royaume. Il a mis à profit ces tournées pour «faire le ménage» sur place, écrémer les rangs dans les collectivités locales et écarter des cohortes de notables «rentiers», davantage tournés vers la gestion de leur statut personnel que du souci de dynamiser les structures organiques du parti. Il a également lancé une politique d’ouverture en direction de «forces vives» en jachère.

De même, il a multiplié les initiatives visant les cadres et les jeunes, un temps tentés ou démarchés par le PAM. En janvier 2018, le RNI annonçait plus de 100.000 adhérents avec un objectif du double à terme. Aujourd’hui, il fait état de 200.000 adhérents en se proposant d’en atteindre 400.000 en 2021. Il compte mettre sur pied une «machine » opérationnelle, démultipliée aux plans régional et local, pour arriver en tête aux élections législatives de 2021. Ce rendez-vous là est à ses yeux la «mère des batailles», le scrutin législatif devant se dérouler -au cours de l’été de cette année-là? - dans les semaines qui vont suivre les élections communales et régionales.

Au sein du gouvernement El Othmani, Aziz Akhannouch s’est distingué par une implication a minima. Il faut dire que le climat général au sein de ce cabinet ne poussait pas vraiment à avoir une autre attitude marquée du sceau de la solidarité, de la collégialité et de la cohérence. Des voix de la formation islamiste multiplient en effet les philippiques contre le président du RNI ou ses ministres. Les tensions n’ont pas manqué comme si l’on avait affaire à une gestion «normale» de la vie gouvernementale.

La Charte de la majorité signée le 19 février 2017 à Rabat, fixant les obligations et les contraintes pesant sur les six composantes de la majorité, n’a pas pu fonctionner dans des conditions satisfaisantes, tant s’en faut. Les réunions n’ont pas été régulières et elles ne réglaient pas les problèmes en instance. Quant au Chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani, il s’échine toujours à se féliciter de «la plus belle majorité de l’histoire», se bornant au passage à n’évoquer que des «divergences secondaires».

Problèmes en instance
Une ambition, un cap, une feuille de route: voilà, semble-t-il, le triptyque de Aziz Akhannouch. A cet effet, il est en campagne électorale bien avant l’heure. Il sait qu’il doit mettre en oeuvre une démarche de mouvement pour affronter les élections de 2021 dans les meilleures conditions possibles. Pour cela, il conforte et redéploie un dispositif organique avec des relais et des profils dans les territoires. Il prend langue avec les uns et les autres, mettant à profit l’atonie des autres formations, fussent-elles des alliées dans l’actuelle majorité. Il entend aussi gagner de nouveaux électeurs, au-delà donc du stock actuel, en se tournant vers les quinze ou seize millions de citoyens en âge de voter et qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Il investit également le champ culturel avec de multiples manifestations qu’il parraine. C’est qu’il ne mésestime pas l’attractivité et la visibilité que donne la culture, dans ses multiples expressions, pour aller au-devant des spectateurs et a un public potentiellement électeur du RNI. Un terrain où les autres formations sont quasiment absentes et qui assure à bon compte une visibilité et une présence.

Visibilité et attractivité
Aziz Akhannouch entend également conforter son statut de leader. Il en fait l’illustration au sein du gouvernement en assumant un rôle de «coach» élargi à des formations comme l’UC, le MP et même l’USFP. Il n’y a que le PPS de Mohamed Nabil Benabdallah qui résiste à cette régulation avec, d’ailleurs, un coût électoral et politique élevé attesté par le renvoi de deux de ses ministres le 24 aout 2017 puis d’une secrétaire d’Etat le 21 août 2018 -sans parler de ce qui se concocte dans cette même ligne avec les deux derniers départements entre ses mains, à savoir la Santé et l’Habitat dans le gouvernement prochainement remanié.

Cela dit, quel projet de société défend le RNI? Il se veut au centre, donc entre le camp conservateur -que représentent le PJD et, d’une certaine manière, le Parti de l’Istiqlal-, et le camp progressiste de l’USFP et du PPS. Il se distingue du PAM, qui mettait volontiers en avant la modernité, la démocratie et un certain «progressisme». Historiquement, depuis les années quatrevingts du siècle passé, le référentiel de ce parti de la colombe était plutôt social-démocrate. Aziz Akhannouch assume cet héritage en priorisant l’emploi, la santé, l’habitat, l’éducation et la formation. Il s’adresse ainsi aux couches modestes et défavorisées, aux jeunes et aux diplômés chômeurs. Mais il a tout autant d’intérêt pour les TPE, les PME et plus globalement pour l’attractivité du climat des affaires pour les entreprises et les opérateurs. Dans le cadre du débat national sur le nouveau modèle de développement, le RNI a préparé et publié à la fin février 2018 ses propositions dans un ouvrage de quelque 180 pages intitulé La voie de la confiance.

Le parti incontournable
Ce document s’articule autour de trois valeurs: justice sociale, responsabilité et cohésion sociale. Il appelle à une dynamique entrepreneuriale pour libérer les énergies existantes et le potentiel qui s’y rattache. Il prône, enfin, le parler-vrai, tournant le dos aux slogans et aux promesses sans lendemain. Arrivera-t-il pour autant à entraîner une large adhésion électorale et populaire susceptible de faire pièce au PJD et de lui assurer en 2021 la direction de l’Exécutif gouvernemental?

Il se veut l’alternative, pas une simple alternance gouvernementale. Il reprend l’étendard qu’a voulu porter un temps le PAM tant en 2011 qu’en 2016 et surclasser ainsi la formation islamiste du PJD. Un pari perdu par l’ancien responsable du parti du tracteur, Ilyas El Omari, et son équipe.

Le PAM a été mis sur pied sur des fondations bien fragiles, une sorte de «carton-pâte» qui n’a résisté ni au Printemps arabe de 2011 ni à l’implosion qui le frappe depuis plus de deux ans. Le RNI, lui, a un historique décliné sur plus de quatre décennies. Il a été fondé en octobre 1978 par Ahmed Osman, alors Premier ministre. Il justifie d’une sociologie, d’une histoire; il a été partie prenante dans le cabinet d’alternance de Abderrahmane Youssoufi (1998-2002). Il dispose de compétences et de réseaux où des valeurs et des intérêts sont partagés. Aujourd’hui, le RNI vient suppléer l’échec du PAM. Aziz Akhannouch compte bien le revitaliser et en faire, en lieu et place du PJD, le parti central et incontournable de la future majorité. Rejeter enfin le PJD dans l’opposition après deux mandats successifs qui n’auraient été qu’une séquence anormale, une embardée conjoncturelle? Voilà le grand challenge que se propose de remporter Aziz Akhannouch!.

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