Ilyas El Omari largué par les siens



Le conseil national du PAM doit statuer, le 21 octobre, sur la démission d’Ilyas El Omari. Ce dernier semble avoir perdu tous ses soutiens. Le linge sale des dirigeants du parti est exposé sur la place publique.

Après un été à souffler le chaud et le froid, le ciel se fait, en cette fin septembre 2017, moins capricieux à Washington. La capitale américaine connait même une météo plutôt belle, presque printanière, et c’est sans doute l’une des périodes de l’année les plus indiquées pour s’y rendre. En tout cas, Ilyas El Omari, flanqué de Moncef Belkhayat, ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, agissant lors de ce voyage en tant qu’interprète, a dû bien apprécier le séjour qu’il y a effectué les 27 et 28 à l’occasion des Morocco Days, rendez-vous américano-marocain pour convaincre les entreprises US de venir investir au Maroc, et, surtout, il a dû quelque peu se recharger les batteries, après une année visiblement éreintante.

Face à ses interlocuteurs américains, il a en effet semblé plus fatigué que d’habitude. De mémoire, ses plus proches ne se souviennent jamais l’avoir vu ainsi. «On le dirait sans force, commente un journaliste qui l’a à plusieurs reprises rencontré pour des interviews. C’est peutêtre aussi l’âge.» Ou pas.

Un double échec
Car s’il est vrai que M. El Omari boucle cette année ses cinquante ans -il les a très exactement soufflés le 1er janvier-, il a toutefois toujours donné l’impression de tenir le coup. On lui prêtait d’ailleurs le don d’ubiquité, puisqu’on le retrouvait aussi bien grimé en homme politique, acteur associatif, diplomate parallèle, patron de presse et même dirigeant de football... l’enfant prodige du Rif était même destiné, dit-on, à prendre les commandes du gouvernement après les élections législatives d’octobre 2016, dont les commentateurs donnaient son Parti authenticité et modernité (PAM) largement vainqueur -ce temps est décidément bien loin. Aujourd’hui, M. El Omari semble plutôt sur la pente descendante. Ainsi, début août, il démissionnait avec fracas de la direction du parti du tracteur -sa décision doit encore être entérinée par le conseil national lors de sa prochaine réunion, le 21 octobre-, et pourrait même se retirer tout court de la vie politique, à l’en croire du moins. À la présidence de la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma, ses jours seraient à cet égard comptés. «C’est peut-être un coup de bluff de sa part, mais l’impression est qu’en haut lieu, on ne veut plus vraiment de lui,» observe un commentateur.

C’est en effet le bruit qui court à Rabat. M. El Omari aurait ainsi été «lâché» par ceux-là mêmes à qui il doit son ascension, et on pense surtout à l’actuel conseiller du roi, Mohammed VI, Fouad Ali El Himma, dont on dit qu’il est l’ami (ce qu’il réfute). Si ce dernier n’est plus membre du PAM depuis 2011 -il avait démissionné de son poste de secrétaire général-adjoint en plein tumulte arabe-, sa parole a toujours continué de peser au sein du parti, au point qu’il est difficile d’imaginer que son opinion n’ait pas été prise en compte lors de l’arrivée aux commandes de l’intéressé début 2016. Mais est-il cependant allé jusqu’à le pousser vers la sortie? En tout cas, il aura eu toutes les raisons du monde pour le faire.

Ainsi, faut-il encore ressasser le double objectif initial du PAM? D’abord, faire pièce au Parti de la justice et du développement (PJD) et le péril islamiste qu’aux yeux de certaines parties au sein de l’État il est susceptible de représenter. M. El Himma himself le proclamait en 2007 sur la chaîne 2M, où il s’était fait inviter par notre confrère Abdessamad Bencherif. Ensuite, permettre la réconciliation du Rif avec le pouvoir central, après 50 ans de relations pour le moins compliquées. D’où, ainsi, que des personnalités comme M. El Omari justement ou encore l’actuel président de la chambre des conseillers, Hakim Benchamach (également originaire de la région), aient été poussées vers les devants. Or qu’en a-t-il été au final? Un double échec.

Guerre de tranchées
D’un côté, le PJD n’a jamais été aussi fort. De 107 sièges aux législatives post-Printemps arabe de 2011, il est même passé à 125 en octobre 2016. A fortiori, l’existence du PAM lui a été salvatrice, puisqu’elle donnait du crédit à la rhétorique conspirationniste et victimaire du chef du PJD, Abdelilah Benkirane, alors que le piètre bilan social et économique du gouvernement dirigé par ce dernier aurait en temps normal suffi à le dégager. Au Rif, c’est bien pire: le décès en octobre 2016 également -bien ironique tout de même- du poissonnier Mohssine Fikri, broyé par la benne tasseuse d’un camion de ramassage d’ordure et le mouvement social Hirak qui s’en est suivi ont mis à nu la réalité de l’ancrage du PAM dans la région. Car même si celui-ci contrôle aussi bien la plupart des villes et villages et des provinces en plus donc des régions, il n’a pu ramener la rue à la raison. Une chance fut encore donnée à M. El Omari en mai 2017 après le début des arrestations des activistes rifains de se sauver la face, mais ni ses interventions cathodiques ne suffirent à convaincre, ni la conférence nationale qu’il organisa dans son fief tangérois ne fit date.

Qu’on l’ait poussé ou pas, le patron du PAM n’avait vraisemblablement plus trop le choix. «Son ascension il la doit à une promesse que les circonstances ne l’ont pas aidé à tenir,» se désole l’observateur cité plus haut, qui reconnaît à M. El Omari un certain «mérite» dans les efforts réalisés. En off, un ancien dirigeant du PAM se fait toutefois incisif: «On a voulu en faire quelqu’un, mais à vrai dire il n’en a jamais eu les capacités,» tacle-t-il. Au sortir d’une telle année, M. El Omari ne peut donc qu’afficher une mine déconfite. Et le pire, c’est qu’il n’en est pas encore sorti, tant que la fameuse réunion du conseil national et le congrès extraordinaire qui devrait s’en suivre n’ont pas encore eu lieu. Ainsi, les principaux dirigeants du parti se livrent depuis sa démission à une véritable guerre de tranchées pour pouvoir lui succéder. On retrouve à cet égard, pêle-mêle, les noms de M. Benchamach ou encore Hassan Benaddi et autres Abdellatif Ouahbi (le seul à s’être pour l’heure plus ou moins déclaré).

Étalage d’affaires
Les réunions du bureau politique sont pour ainsi dire devenues électriques, et la nervosité se fait observer de part et d’autre. Jeune cadre du PAM, Omar Alaoui avait par exemple de longs jours durant harcelé le journal électronique Yabiladi -avec selon toute vraisemblance l’assentiment du secrétaire général par intérim, Habib Belkouch- pour avoir fait part des dissensions au sein du parti. «Je préfère croire à un incident de parcours d’une direction qui doit gérer l’intérim au PAM et naviguer entre les différents courants,» a réagi le directeur du titre, Mohamed Ezzouak, dans un éditorial. Et il ne croit sans doute pas si bien dire.

D’aucuns voient ainsi dans la guerre de succession en cours au sein du PAM la raison derrière l’étalage de nombreuses affaires dans les médias nationaux touchant les responsables du parti. Ainsi, M. Benchamach s’est retrouvé au coeur de la tourmente, après que certains titres aient rapporté l’information de son acquisition d’une villa à plusieurs millions de dirhams dans un des quartiers les plus cossus de Rabat (l’intéressé a timidement démenti). L’affaire a fait tellement de bruit qu’elle a été évoquée lors de la réunion du bureau politique du parti, du 28 septembre 2017. M. Benchamach n’est pas le seul à se voir éclaboussé de la sorte.

Également, M. Benaddi a été mis en cause en raison de son salaire à la tête de l’académie du PAM, de l’ordre de 35.000 dirhams par mois (45.000 dirhams selon la presse). Il aurait par ailleurs embauché une de ses proches pour 15.000 dirhams. Si M. Benaddi a confirmé ces informations, en revoyant toutefois à la baisse les salaires révélés, il a expliqué qu’il touchait mieux ailleurs et, surtout, que c’est sur l’insistance de M. El Omari qu’il aurait accepté le poste. Ce dernier lui aurait notamment affirmé que c’est des gens bien placés qui le voulaient pour diriger ladite académie. «Je m’épancherai davantage en temps opportun,» déclaret- il. Soupçonne-t-il M. El Omari ou un de ses proches d’avoir ébruité l’affaire? Et si oui, pourquoi? Parce qu’il préférerait qu’une autre personne lui succède? En tout cas, le chef du PAM n’échappe pas lui aussi au scandale. Ainsi, et bien que plus d’une année soit passée depuis la conférence méditerranéenne sur le climat MEDCop, on découvre que les marchés de communication et d’organisation auraient été confiés à l’homme d’affaires Karim Bennani, qui n’est autre que l’actionnaire principal du groupe médiatique Akhir Saâ, lancé notamment par M. El Omari (ce dernier s’en était retiré début 2016).

Une succession dans la douleur
Pour le député du PAM Larbi Lamharchi, réputé proche de l’intéressé, c’est clair: «Il y a des parties politiques et non politiques connues qui mènent une guerre féroce contre le courant d’El Omari», rapportait-il dans un communiqué qu’il a fait publier le 21 septembre en réaction à des accusations à son encontre faisant état du fait qu’il n’aurait jamais obtenu de diplôme à l’école, contrairement à ce qu’il soutient. Quoi qu’il en soit, le passage de témoin entre M. El Omari et son potentiel successeur n’est pas appelé à se produire sans effusion. «Le PAM pourrait ne pas y survivre,» analyse un proche du Rifain. Ce dont, dans les milieux autorisés, on ne semble pas s’offusquer.

Car après tout, et pour toutes les raisons citées plus haut, le PAM est de toute façon appelé à céder la place. On semble d’ailleurs déjà préparer, dans cette optique, le Rassemblement national des indépendants (RNI), le Parti de l’Istiqlal (PI) ou encore le Mouvement populaire (MP) pour le suppléer. En définitive, le PAM a sans nul doute raté le coche. «C’est bien dommage de voir ce projet en arriver là, car malgré tout il avait un certain attrait, fait remarquer un dirigeant d’un parti politique adverse. On a voulu trop vite arriver, et sans prêter attention aux méthodes… c’est au final l’effet inverse qui s’est produit.” Le mot “gâchis” revient notamment sur plusieurs langues. En tout cas, M. El Omari a bien de quoi tirer la tronche.

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