ILYAS ELOMARI, LA CHUTE D'UN CAÏD

Naguère, il flirtait avec les plus hautes sphères de l'État. Aujourd'hui démissionaire de la présidence de la région Tanger-Tetouan-Al Hoceima, il se retrouve abandonné de tous.

Des défauts, Ilyas Elomari en a sans doute, comme tout le monde. Mais pas celui de manquer de clairvoyance quand les circonstances le commandent. Depuis ce 28 septembre 2019, l’ancien secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM) n’est plus le président de la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima. Il faudra encore attendre le OK du wali Mohamed Mhidia, puisque c’est au représentant du ministère de l’Intérieur que revient, en l’espèce, le fin mot, mais le fait est que le départ du Rifain et, possiblement, sa retraite politique semblent désormais actés. Ce dernier, qui n’avait depuis quelque temps déjà plus vraiment d’emprise sur le conseil de la région, d’autant plus miné par les querelles intestines entre les différents partis le constituant, a visiblement compris qu’il n'y ferait de vieux os. Et question défaites, M. Elomari a, pour le moins, été bien servi ces trois dernières années. Au point de dire qu’elles sont désormais son pain quotidien, il n’y a qu’un pas... que beaucoup franchissent, allègrement. «C’est dommage de finir ainsi, après avoir titillé les sommets, » lâche, un peu compatissant mais bougrement moqueur, un homme politique de la place.

Même Saâd Eddine El Othmani s’est pris au jeu du tir sur l’ambulance, si l’on peut l’appeler ainsi. Intervenant, le 29 septembre dans la ville d’Agadir, à une réunion d’élus locaux du Parti de la justice et du développement (PJD), dont il est le secrétaire général, le Chef de gouvernement n’a pas manqué de tancer «les partis politiques (...) construits par l’argent et l’appui de parties au sein de l’administration», en faisant clairement allusion à M. Elomari.

C’est que, dans les rangs islamistes, la rancune est toujours tenace envers celui que l’on présentait comme l’ordonnateur du projet de Fouad Ali El Himma de les mettre hors circuit et qui s’est concrètement traduit, à partir de juillet 2008, par la création du PAM -M. Elomari était même considéré, au faîte de sa gloire, comme l’éminence grise de l’actuel conseiller du roi Mohammed VI.

Traîné dans la boue
«Quand la vache tombe, les coutelas se multiplient»: la sagesse populaire marocaine semble encore se vérifier. Qui, il y a quelques années, aurait pu imaginer M. Elomari traîné, de la sorte, dans la boue? Sa débandade est, de fait, telle qu’ultimement, il n’avait même plus l’ascendant sur la directrice de l’Agence régionale d’exécution des projets de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Amal Ouahid, qui a refusé d’obtempérer à sa demande d’organiser une réunion qui, en principe, devait se tenir la veille de sa démission. Il n'aura pas l'occasion de voir le projet de cité Mohammed VI - Tanger Tech se concrétiser. Lui qui a dû effectuer des déplacements jusqu'en Chine pour promouvoir ce projet auprès des investisseurs chinois.

Il est en définitive loin le temps où sur un coup de téléphone, comme on le rapportait alors dans le salons, il pouvait depuis son fief de l’hôtel Villa Mandarine, dans la ville de Rabat, faire et défaire les carrières de toutes et de tous. Comme c’est souvent le cas, ce sont ceux qui étaient les plus proches de lui qui lui ont le plus rapidement tourné le dos. «Beaucoup d’hommes et de femmes politiques, portés au pinacle aujourd’hui, devraient en prendre de la graine,» commente une de ses anciennes collaboratrices, qui lui est toutefois restée personnellement fidèle.

Victime du Hirak
Pourtant, M. Elomari en a sans doute encore sous la semelle. Au PAM notamment, on aurait certainement bien besoin, par les temps qui courent, de ses bons offices, alors que le parti semble se diriger, bon gré mal gré, vers une scission: comme chacun le sait, l’actuel secrétaire général, Hakim Benchammass, ne reconnaît pas la commission préparatoire présidée par Samir Goudar, entre autres parce que ce dernier est justement un proche de M. Elomari, et avait fait nommer le 28 juillet une seconde commission, confiée celle-là au député Ahmed Touhami -la justice doit, au passage, encore trancher à ce sujet. Mais M. Elomari semble lui-même ne rien vouloir y entendre. Une partie de son déclin peut, de fait, être attribuée à lui-même. Car au vu de ses réseaux, aussi bien au Maroc qu’à l’international, M. Elomari avait bien les moyens de résister, du moins jusqu’à très récemment. On a bien vu moins influents que lui se remettre d’aplomb après des échecs autrement cinglants. Pourquoi a-t-il laissé faire? Ou, pour le dire plus clairement, pourquoi s’est-il laissé faire? Il semble que le mouvement de protestation du Hirak ach-chaâbi qu’avait connu le Rif à partir d’octobre 2016 a été pour lui un point de non-retour.

L’homme est, on le sait, profondément attaché à la région, où il avait tenu à se présenter en septembre 2015 dans son village natal d’Imnoud -il y a vu le jour le 1er janvier 1967-, et y est socialement très actif, à travers notamment l’Association Rif pour la solidarité et le développement (ARID). Il était, toutefois, une des principales cibles du leader du Hirak, Nasser Zafzafi, qui cataloguait le PAM dans ses interventions publiques d’«officine électorale».

Un projet mort-né
De se voir ainsi mis à l’index par les siens, qu’il qualifiait en mars 2004 de «Basques du Maroc» dans un article que le quotidien français Le Monde avait consacré au tremblement de terre ayant touché quelques jours auparavant la ville rifaine d’Al Hoceima, l’aurait, selon des témoignages, durablement affecté. Cette retraite anticipée de M. Elomari, qu’on annonçait il y a quelques années encore pourtant comme un futur Chef du gouvernement, c’est donc aussi celle, en grande partie, d’un projet de société qui se voulait alternatif à l’islamisme.

Le PAM n’a, certes, pas été une tendre affaire, et il est évident qu’à un moment, il a été favorisé par l’administration: sans le Printemps arabe, Ilyas Elomari présiderait même peut-être, actuellement, aux destinées du Maroc. Il a, ceci étant, au moins toujours eu le mérite de s’appuyer sur une matrice idéologique, qui avait d’ailleurs poussé bon nombre d’anciens prisonniers politiques à l’engagement peu douteux à rallier son parti -en tout cas, l’effort avait été fait de doter le PAM d’une identité propre. Cette époque lointaine où le PJD aussi, d’ailleurs, était encore le PJD, au point de risquer la dissolution, est vraisemblablement révolue. Seul semble désormais prévaloir le succès électoral, avec des partis qui, sauf le nom, n’ont, au fond, rien de différent, et qui demain, au gouvernement, éprouveraient sans doute les mêmes recettes. Mais, pour Ilyas Elomari, tout semble indiquer que c'est la fin de l'histoire. Quoique, il ne faut jamais enterrer un homme politique vivant, surtout lorsqu’il s'appelle Ilyas Elomari.

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