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Interview de Hassan Aourid: "L'administration doit changer son approche au Rif"
- par Wissam El Bouzdaini
- 07-06-2017
- Politique
Ancien porte-parole du Palais royal, Hassan Aourid ne mâche pas ses mots quand il commente les récents développements dans le Rif. Pour lui, l’administration doit se défaire de ses anciennes méthodes dans la région.
Quelle évaluation faites-vous des récents développements dans la région du Rif?
Il faut d’abord reconnaître que le virage que nous entamons présentement est dangereux, en ce sens que je ne crois pas que l’arrestation des membres des comités de la Mouvance populaire rifaine soit pour calmer la rue. Pis, je vois bien que la contestation ne fait que grandir de jour en jour. Il faudrait à mon sens négocier la chose autrement. L’approche sécuritaire, vous le voyez bien, n’est pas à proprement parler une solution.
Quelle approche faudrait-il d’après vous adopter?
Je ne prétends pas avoir des solutions clés en main, mais je pense qu’en tout cas l’alpha et l’oméga est de sérieusement prêter l’oreille à la rue et plus précisément aux revendications de la Mouvance populaire rifaine; cela d’autant plus que le gouvernement lui-même les a à maintes reprises, qualifiées de légitimes.
Ce que je constate par exemple, c’est que lesdites revendications ne sont pas spécifiquement infrastructurelles; elles charrient également le besoin d’une reconnaissance des maux et des blessures du passé en préalable à tout processus de réconciliation. Cela veut dire que, pour autant que les projets socioéconomiques lancés ici et là soient une partie de la solution, ils n’en sont pas pour autant la totalité. Je me rappellerai par exemple toujours les mots qu’avait eus Dr Mhamed Lachkar à la mort de son neveu, le militant USFP (Union socialiste des forces populaires) Karim Lachkar, après avoir été poursuivi par la police. Les faits s’étaient déroulés en 2012 dans la ville d’Al Hoceima, là même où la Mouvance populaire rifaine est le plus active. Dr Lachkar avait déclaré que le problème au Rif n’est pas lié qu’aux infrastructures et aux choses mais principalement à la façon dont on traite la population. On ne lui avait malheureusement prêté aucune attention.
Vous partagez donc les revendications de la population rifaine...
Absolument. De toute façon, on n’en vient pas par hasard à se révolter; il faut nécessairement des données objectives, auxquelles peut certes, bien entendu, toujours concourir un substrat émotionnel, que dans le cas d’espèce rifain alimente l’histoire à travers l’épopée émancipatrice de Mohammed ben Abdelkrim El Khattabi dans les années 1920, la répression du soulèvement de Mohamed Sellam Amezian en 1958 et 1959 et les révoltes urbaines de 1984. L’essentiel est maintenant de faire une lecture correcte de la situation et d’éviter de rééditer les erreurs du passé. C’était d’ailleurs l’idée dès le départ du roi Mohammed VI, comme l’illustre la visite qu’il a effectuée en 1999, quelques mois après son accession au trône, au Rif. Cela dit, malheureusement, l’administration n’a pas su accompagner le nouvel élan. Elle s’est contentée de recycler des méthodes qui pourtant, l’histoire l’a bien prouvé, sont depuis belle lurette éculées.
Qu’entendez-vous par méthodes?
Je l’ai déjà dit: on n’a pas pris en considération, du moins assez, les véritables aspirations des populations. On a cru bon de leur imposer sa propre vision des choses, sa propre façon de faire à travers, plus concrètement, des projets qu’on n’a même pas cherché à discuter avec elles, et surtout des élites qui n’ont aucune légitimité populaire, au lieu de laisser des personnalités du terroir émerger d’elles-mêmes. On l’a vu d’ailleurs depuis le commencement de la Mouvance populaire rifaine; les élites que j’ai mentionnées n’ont absolument aucune prise sur la rue.
Vous faites certainement allusion au Parti authenticité et modernité (PAM), qui compte à sa tête de nombreuses personnalités rifaines...
Le PAM fait effectivement partie du problème. La Mouvance populaire rifaine l’a d’ailleurs clairement rejeté. À partir de là, pensez-vous vraiment qu’il puisse être la solution? Vous savez, en 1980, le roi Hassan II avait reçu, à l’occasion de la cérémonie annuelle d’allégeance, des représentants de la tribu des Ouled Dlim, qui font partie des plus importantes du Sahara marocain. Ils avaient dit au Souverain: “Ne mettez-pas nos crapules à notre tête, mais si cela est nécessaire, ramenez-nous au moins vos propres crapules.” C’est aussi pour dire que le problème de représentativité ne concerne pas exclusivement le Rif.
Vous avez tout à l’heure fait mention des spécificités du Rif. En parler, n’est-ce pas ouvrir la voie plus tard, comme c’est le cas dans certains pays d’Europe, au séparatisme? C’est du moins l’opinion que défendent certains politiques et responsables marocains.
Que faire alors? Nier la réalité? Impossible. Le Rif en tant que région, avec ses spécificités culturelles et historiques, est quoi qu’on dise une réalité. Le clamer haut et fort n’est pas pour autant ourdir un projet destructeur à l’endroit de la nation. Où le mal existe-t-il dans le fait de vouloir s’approprier son histoire et sa culture? J’ai suivi de près la Mouvance populaire rifaine et j’ai bien pu comprendre que les Rifains étaient eux-mêmes les premiers à s’opposer au séparatisme. Plus, les références à l’unité de la totalité de l’Afrique du Nord-Ouest ont toujours été explicitement claironnées. J’imagine mal un séparatiste porter un tel idéal.
Ce n’est pas ce qu’avance pourtant le gouvernement...
Ce qu’avance le gouvernement ne va certainement pas arranger les choses. Il faut au contraire s’ouvrir et cesser de taxer de félonie n’importe quel manifestant qui porterait des revendications n’allant pas dans le sens du vent.
Qu’avez-vous pensé de l’interruption par le leader de la Mouvance populaire rifaine, Nasser Zafzafi, du prêche mettant en cause son mouvement? Devait-il agir d’après vous de la sorte?
La question est plus complexe que cela; elle intéresse le mélange des genres que l’on peut faire entre religieux et politique. A mon avis, cela n’est pas normal.
Faut-il d’après vous libérer M. Zafzafi?
C’est un préalable requis. Tous les activistes détenus doivent le plus tôt possible être libérés. Je suis pour le dialogue, et je suis surtout pour la stabilité de mon pays. Je crains, en persistant dans l’approche sécuritaire, qu’on s’engouffre dans la voie du pire.