Interview de Kamal Oudrhiri, responsable du département d’études planétaires à la NASA


"Le problème n’est pas d’aller sur Mars, mais d’en revenir"


Dans cette interview exclusive, le scientifique marocain Kamal Oudrhri revient pour Maroc Hebdo sur la mission récemment menée par la NASA sur Mars. La sonde InSight a réussi à se poser, le 26 novembre 2018, sur Mars après plus de six mois de voyage à travers l’espace. Une grande nouvelle dans le domaine de l’exploration spatiale, n’est-ce pas? Absolument. Surtout, il faut mesurer la difficulté de la chose. Valeur aujourd’hui, seule une mission sur trois visant à atterrir sur Mars réussit. C’est un taux très faible. Nous étions donc un peu sur les nerfs, même si, de par l’expérience que nous avons acquise, nous étions en même temps confiants. Comme vous devez le savoir, la NASA a réussi sept fois à faire atterrir des sondes spatiales sur Mars, et InSight est donc la huitième. A titre de comparaison, d’autres agences spatiales n’ont jamais réussi à faire atterrir ne serait-ce qu’une seule sonde. Aussi, à titre personnel, Insight est ma quatrième mission après Spirit et Opportunity, en 2004, et Curiosity, en 2012. Pourquoi faire atterrir une sonde sur Mars est-il si difficile? Ce qu’il faut d’abord savoir, c’est que pour atterrir nos sondes utilisent des parachutes. Or, sur Mars, l’ouverture de ces parachutes peut être gênée par les changements au niveau de l’atmosphère, qui a souvent tendance à devenir dense en raison des grains de sable qui vont être transportés depuis le sol par les vents. Le problème est que le déclenchement de ces vents est difficile à prévoir, en ce qu’ils sont brusques, et donc tous nos calculs peuvent tomber à l’eau, en conséquence de quoi la mission elle-même peut tomber à l’eau. Nous devons donc être les plus précis possible, et d’ailleurs nos calculs se font au centième de seconde près. J’ajouterai aussi que lorsqu’une sonde aborde Mars, elle fait en moyenne une vitesse de 20.000 km/h, et elle doit passer, en environ 7 minutes, de cette vitesse à celle de zéro, au risque de s’écraser. Là encore, il faut faire des calculs pour que les parachutes se déclenchent au bon moment. C’est quoi le secret de la NASA pour relever autant de défis à la fois? Il n’y a pas vraiment de secret. Notre force, c’est le travail de longue haleine, mais aussi l’esprit d’équipe. A la NASA, nous avons tous conscience de converger vers un seul et même objectif, d’appartenir à une seule et même famille. Il y a par ailleurs aussi la question du transfert du savoir-faire. Lorsqu’une personne acquiert de l’expérience, elle fait en sorte que les jeunes générations en bénéficient, car il y a des choses qui, comme vous le savez, ne s’apprennent pas à l’université. J’avais, par exemple, jusqu’à récemment sous ma direction une femme âgée de plus de 80 ans qui continuait de mettre la main à la pâte pour aider. C’était la doyenne de la NASA. C’est ce qui nous manque parfois par ailleurs au Maroc, hélas. Vous suivez toujours ce qui se passe au Maroc? Oui, et je vais même vous faire une confidence: chaque année, mes vacances, c’est au Maroc que je les passe. Le Maroc, je l’ai dans le sang, c’est mon pays. Même si cela fait plusieurs années que je n’y vis plus, je continue de l’aimer avec la même force. Il y a plusieurs jeunes Marocains qui, comme vous, se distinguent dans le domaine scientifique au sein de prestigieuses institutions. Qu’en pensez-vous? Cela fait forcément chaud au coeur. La jeunesse marocaine est pleine de potentiels. Pourquoi pas, demain, imaginer d’autres Marocains travailler à la NASA et faire un meilleur parcours que moi? C’est en tout cas mon voeu le plus cher. Mais, pour ce faire, il faut beaucoup de travail et d’abnégation. C’est mon principal message à notre jeunesse: qu’elle n’abandonne pas et qu’elle ne croie pas que tout s’acquiert en un claquement de doigts. Pour faire partie des meilleurs, il faut faire comme les meilleurs, c’est-à-dire donner le meilleur de soi-même. Beaucoup de Marocains se sont portés volontaires pour la mission que la NASA compte mener pour envoyer des hommes sur Mars. Qu’est-ce que cela vous inspire? Ce serait un motif de fierté pour moi que de voir que le premier homme sur Mars soit Marocain, mais vous savez, le problème n’est pas tant d’aller sur Mars que de pouvoir en retourner. Plus sérieusement, nous n’avons, pour l’heure, pas encore pu développer la technologie à même de nous permettre de décoller de Mars, comme ce que nous faisons d’ailleurs pour aller dans l’espace. Si donc quelqu’un s’y retrouve, c’est pour la vie. Personnellement, cette perspective ne m’enchante guère (rires). Y a-t-il une possibilité que la vie existe sur Mars? C’est justement un des objectifs de la mission InSight que de pouvoir répondre à cette question. Celle-ci est dotée d’outils à même de nous permettre de mieux étudier son sous-sol. Ce que nous savons pour l’heure, c’est qu’il y a eu de l’eau sur Mars, littéralement des océans qui, sans qu’on puisse bien l’expliquer, ont disparu. De l’eau, c’est donc la possibilité de l’existence de la vie. Cela fait une vingtaine d’années que vous travaillez à la NASA. Que vous a appris cette expérience? Surtout, être humble. Vous prenez conscience de votre insignifiance au regard de la taille de l’univers, et ceci vous apprend à relativiser davantage votre vie et vos priorités. Vous m’avez tout à l’heure posé la question sur la possibilité d’aller sur Mars, moi j’encouragerais davantage qu’on puisse retourner sur la lune. A titre personnel, j’aimerais bien que plus d’humains aient l’opportunité de voir leur planète depuis l’espace car à mon sens, cela leur permettrait de mieux apprécier la beauté de la Terre et ainsi penser à la préserver.

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