L’islamophobie n’est pas une opinion, c’est un délit. Cette qualification doit être retenue au titre de la législation réprimant les propos et les actes racistes.
Il fallait s’y attendre. Montrés du doigt, les musulmans français subissent maintenant des passages à l’acte. Avec l’attaque de Bayonne, la tentative d’incendie d’une mosquée et deux blessés, dont l’un grièvement, le 28 octobre 2019, il y a de quoi s’inquiéter d’un tel climat politique délétère. La stigmatisation des musulmans se poursuit; elle avance: elle se répand; elle devient un fait de société qu’il faut dénoncer avec la plus grande vigueur. Pour l’année 2018, les chiffres officiels font état de pas moins de 675 cas d’islamophobie –sans parler de centaines d’autres relevant de la sous-déclaration, soit une hausse de 52% par rapport à 2017, sans parler de dizaines de mosquées profanées ou taguées.
C’est ainsi. Au premier niveau, qui est celui des stéréotypes, est venu se surimposer celui des préjugés pour finir aujourd’hui avec les amalgames et les actes de violence. L’islamophobie n’est pas une opinion, c’est un délit. Cette qualification doit être retenue au titre de la législation réprimant les propos et les actes racistes. Certains, comme le ministre de l’Intérieur français, estiment que parler d’islamophobie «n’apaise pas le débat». Il faut lui répliquer par cette phrase connue d’un Prix Nobel de littérature, l’écrivain français Albert Camus pour qui «mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde». Dans le même registre, le président français Emmanuel Macron a expliqué qu’il faut désormais guetter les «signaux faibles» de radicalisation et oeuvrer pour une «société de vigilance». Mais contre qui? Contre les terroristes de tous poils, oui, nous nous retrouverons ensemble; mais contre les musulmans assimilés à une communauté potentiellement suspecte, non et mille fois non! Des mots, puis des menaces, des injures et aujourd’hui des actes de violence: Basta! Le risque est grand de voir à terme une sorte de petite guerre civile dans l’Hexagone entre, d’un côté, les jihadistes et, de l’autre, les membres de l’ultra-droite avec, au milieu, l’immense majorité des musulmans français ou non, subissant des conditions de travail et de vie qui n’aident pas à leur intégration dans la société.
Voilà pourquoi il faut réagir. La manifestation du dimanche 10 novembre 2019, à Paris, à l’initiative de plusieurs partis et associations, a été une première bonne réponse. Elle a réuni 13.500 personnes, selon le sondage de l’organisme Occurrence, reconnu pour la fiabilité de son pointage. Les slogans que l’on a pu y voir ne manquent pas de sens: «Laïcité, on t’aime, tu dois nous protéger», «l’islamophobie tue» et d’autres encore de la même veine. Il faut y ajouter «Allah Akbar» pour bien montrer que c’était une expression religieuse (Dieu est le plus Grand) et non pas un appel guerrier. Enfin, la manifestation n’a pas manqué de chanter la Marseillaise en fin de parcours…
Il y a, assurément, des alertes fondatrices qui se multiplient et qui nourrissent diverses formes d’islamophobie. Ce qui s’est passé le 11 octobre 2019 avec cet élu du conseil général de Bourgogne–Franche Comté qui s’en est pris publiquement à une femme voilée accompagnant une sortie scolaire a reposé en des termes éclatants la question de la laïcité. Du côté des dirigeants français, il y a comme du flottement et des ambiguïtés. Le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, a considéré que, pour lui, «le voile n’était pas souhaitable». Pour sa part, le président Macron a déclaré, lors d’un entretien informel avec un journaliste de Valeurs actuelles qu’il condamnait «l’humiliation» de la mère voilée de l’enfant et qu’il était déterminé à lutter contre le communautarisme. Huit jours auparavant, lors de son déplacement à Mayotte et à la Réunion, il avait été pourtant plus clair: «le port du voile dans l’espace public n’est pas mon affaire».
Il y a là, dans le climat actuel, un effet foulard qui est venu brouiller davantage la question de la laïcité jusqu’à conduire à une confusion entretenue par l’islamophobie ambiante dans certains milieux, partisans ou autres. Le rejet des musulmans est lointain, certes, mais aujourd’hui c’est l’Islam qui est devenu un sujet et un programme pour la droite et l’extrême droite. Le problème de fond, ce n’est pas celui des musulmans mais celui de l’islam politique. Ce qui impose que les autorités françaises arrivent à bien distinguer entre la pratique religieuse quiétiste de la grande majorité des musulmans de France et la radicalisation. Il faut sortir de cette spirale infernale. Pour ce qui est du voile, cela suffit; un délire qui dure depuis trente ans.