Les jeunes protestataires de Jerada ont perdu confiance dans les pouvoirs publics et les partis

Un puits clandestin

Voir Jerada et mourir


Etre jeune gueule noire n’est pas une vocation. C’est l’expression vivante, néanmoins en sursis, d’une misère durable.

Le défilé macabre de Jerada continue. Le dernier mort date du 1er février 2018. Dans les mêmes conditions et pour les mêmes causes que les deux frères surpris par une trombe d’eau souterraine le 21 décembre 2017, dans un puits clandestin de charbon. Ce n’est pas la première fois que ce genre de drame se produit. Les trois jeunes ainsi cueillis dans la fleur de l’âge ne sont pas des spéléologues du dimanche ou de métier. Ils étaient partis dans les entrailles de la terre pour lui arracher quelques kilos de charbon, revendus en ville pour une poignée de dirhams. Ils l’ont chèrement payé.

Comme quoi, être jeune gueule noire n’est pas une vocation. C’est l’expression vivante, néanmoins en sursis, d’une misère durable. Car cette terre, pas très gâtée par la nature, ne lâche rien, ni en surface, ni en profondeur. Il en est de même pour ses habitants au caractère bien trempé. On n’est rifain que par un événementiel historique farouchement refusard; et par une géographie au relief tourmenté, difficile d’accès.

Une ville sinistrée
Comme si ce n’était pas suffisant, la main de l’homme a aggravé un peu plus ces traits marquants. Cela fait des décennies déjà que Jerada ressemble à une ville à l’abandon; presque une ville fantôme où déambulent quelques ombres complètement désoeuvrées. La vie, qui s’était organisée autour du charbon, s’est figée depuis la fermeture officielle de la mine en 2000. Le principal, sinon l’unique revenu de la ville a disparu. Jerada a tout l’air d’une ville sinistrée, sans jamais avoir été déclarée comme telle. Ce qui aurait dû se faire à titre d’impulsion salvatrice pour redonner vie à la ville. Encore faut-il que les éventuels intervenants de l’autorité publique disposent d’un programme de sauvetage adéquat et adapté, avec une onde de choc immédiate pour rassurer la population.

À l’exception de déplacements à la hâte de quelques ministres flanqués de leurs subordonnés et de leurs discours d’apaisement, il n’y a pas de véritable programme de développement qui débute maintenant et s’inscrit dans la durée. S’il y en avait, ça se saurait, depuis le temps. Certes, la population a chuté. Elle est passée de 60 mille à 45 mille. Mais il fallait bien trouver une alternative pour ceux qui sont restés. À l’évidence et à l’épreuve des faits, cela n’a pas été fait. Jerada cumule les records calamiteux dans les domaines les plus vitaux.

Programme de sauvetage
On y compte les taux les plus élevés de chômage et de pauvreté; bien plus que les statistiques parfois technicistes du Haut Commissariat au plan. La situation est la même pour les infrastructures d’équipement de base. L’objectif; tant annoncé, jamais entamé, étant la création d’emplois et le désenclavement de la ville. Regrettable mais vrai, les jeunes protestataires de Jerada ont perdu confiance dans les pouvoirs publics et les partis politiques. Un énorme potentiel humain en déshérence, sans point d’attache et sans référence. C’est proprement inquiétant. Pour qu’un dispositif officiel soit crédible, il faut bien que le premier coup de pioche ne soit pas l’orphelin d’une série de promesses non tenues, comme d’habitude.

Des problèmes communs
Le processus de contestations et de revendications à Jerada ressemble à l’identique à celui d’Al Hoceima, quelques mois plus tôt. Dans les deux cas, on revendique surtout du travail pour postuler à des conditions de vie décente et digne. La dignité, voilà un mot propre à cette région, sans lui être exclusif. Il colle parfaitement à la culture et au mental des rifains de l’Oriental réputés sans concession. Il a été écrit sur ces mêmes colonnes que les problèmes et les revendications d’Al Hoceima sont ceux de toute la région de l’Oriental, voire de toutes les régions du Royaume. Chose faite à Jerada. Il y a comme un vent rifain qui souffle sur l’Oriental. Aux suivants, à l’horizontale sur une carte du Maroc, pour d’autres villes de l’Oriental, tout aussi profondément touchées dans un silence trompeur. À la verticale, sur la même carte, des régions aux réalités spécifiques ont pratiquement les mêmes problèmes et les mêmes doléances.

Ce n’est pas pour noyer le poisson, encore moins pour lancer une invite à la désobéissance civile. C’est plutôt la politique de la régionalisation qui en prend un coup. D’autant plus que l’État en a fait une priorité et un cheval de bataille. Une politique où une régionalité responsable cohabite avec une centralité raisonnable. C’est toute l’équation de la situation actuelle.

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