LA VIE SANS ALI EL HIMMA

Les dirigeants du PAM: Mohamed Cheikh Biadillah, Ilyass El Omary, Mustapha Bakkoury et Hakim Benchemass Les dirigeants du PAM: Mohamed Cheikh Biadillah, Ilyass El Omary, Mustapha Bakkoury et Hakim Benchemass

Le Parti authenticité et modernité peut-il espérer devenir la première force politique du pays ?

Dans la fièvre préélectorale actuelle, le  champ politique est passablement chahuté  par la crispation de plus en plus  exacerbée entre le Chef du gouvernement,  Abdelilah Benkirane, leader du  Parti de la justice et du développement  (PJD), et l’opposition. Plus précisément, pour  ce qui est de celle-ci, formée de quatre partis, si  l’Union constitutionnelle (UC) de Mohamed Abied  reste modérée, les trois autres, à savoir le Parti  de l’Istiqlal (PI) de Hamid Chabat, l’Union socialiste  des forces populaires (USFP) de Driss Lachgar  et le Parti authenticité et modernité (PAM)  de Mustapha Bakkoury, sont plus “activistes”. Ils  s’inscrivent, suivant des modalités et des styles  propres, dans un schéma de confrontation avec la  formation islamiste.
Le PAM retient davantage l’intérêt. Pourquoi?  Parce que, à la différence des trois autres, il relève  d’une comptabilité politique et même historique  particulière. Deux traits doivent être mis en relief  à cet égard: l’un est relatif aux conditions de sa  création, l’autre regarde son parrainage. Sur son  acte de naissance, deux étapes sont à relever.

Au départ, une association baptisée  le Mouvement pour tous  les Démocrates (MTLD), en janvier  2008, à l’initiative de Fouad  Ali El Himma avec l’appui d’un  groupe d’ex-militants gauchistes  et de certaines personnalités.  Très vite, ce mouvement se  transforme en un parti politique  sous le nom de Parti authenticité  et Modernité (PAM).

Opération d’exfiltration
Reste pour ce nouveau-né à se  risquer à l’onction électorale.  L’opportunité va lui en être  donnée avec les élections communales  de 2009, où il surclasse  tout le monde avec 21,7% des  voix et 18,7% des sièges. Le PAM  se place ainsi dès le départ dans  une feuille de route pratiquement  annoncée devant en faire  l’axe central d’un système partisan  à réformer, et partant, de la  majorité parlementaire.
Las, l’imprévisibilité de la dynamique  sociale allait en décider  autrement avec l’onde de choc  du Printemps arabe et de son expression  locale du Mouvement  du 20 Février. Du pain bénit pour  le PJD, qui s’employa à dénoncer,  au cours de l’été 2011, la vocation hégémonique, voire  totalitaire, du PAM. Pour autant,  ce parti réussit à obtenir  47 députés aux élections législatives  du 25 novembre 2011. La  formation islamiste, elle, arrive  loin devant avec 107 sièges.  Abdelilah Benkirane rejette dès  le départ toute majorité avec Le  Parti de Fouad Ali El Himma.
Du coup, c’est le désarroi dans  les rangs du PAM. Surtout que  Fouad Ali El Himma, secrétaire  général-adjoint du 8 août 2008  au 15 mai 2011, se voit nommer,  le 7 décembre 2011, deux  semaines après les élections du  25 novembre, conseiller du Roi.  Une opération d’exfiltration  d’un champ partisan s’apparentant  à un chaudron. Le PAM  s’est tout d’abord attaché à  changer sa direction, assurée  alors par Mohamed Cheikh  Biadillah, ancien député RNI et  PND et ancien ministre, après  l’intermède initial des Hassan  Benaddi. Au congrès de février  2012, c’est le “technocrate”  Mustapha Bakkoury, ancien  patron de la CDG et membre  fondateur du MTLD, qui est élu  secrétaire général.
Comment se faire alors une place dans un périmètre de  l’opposition déjà occupé par  l’USFP et l’UC, rejoints par le PI  de Hamid Chabat, le 8 octobre  2013, mais qui assurait pratiquement  déjà cette fonction  depuis la nomination du cabinet  Benkirane le 3 janvier 2012?  L’opposition, le PAM n’y était  pas préparé, tant s’en faut. Y gagner  en crédibilité n’était guère  facile. C’est qu’en effet les deux  partis de l’opposition historique  –USFP et PI– avaient des états  de service dans ce domaine et  ce depuis un demi-siècle. Et  puis, qu’on le veuille ou non, ils  étaient issus du Mouvement national  et pouvaient exciper à ce  titre d’une épaisseur historique  et d’une légitimité politique difficiles  à évacuer.

Contrainte de “normalisation”
Il faut y ajouter un autre facteur  de complication lié au fait que le  projet PAM se voulait concurrentiel  avec les partis de la Koutla  (PI, USFP, PPS), considérés, peu  ou prou, comme un “système”  partisan du passé, rigidifié, sclérosé  même, et ne pouvant plus  porter un projet de société mobilisateur  ni présenter une offre  politique moderne, attractive et  mobilisatrice.
Mais il y a plus. Le PAM entend  aussi mettre en exergue la modernité,  autrement dit un pôle  tranchant avec celui du PJD,  qualifié de conservateur et de  rétrograde. N’est-ce pas dans  l’ADN même du PAM que se  trouve cette identification? Fautil  rappeler que, dès le lendemain  de son élection à la Chambre  des représentants, à la fin août  2007, Fouad Ali El Himma a disposé  d’une émission spéciale sur  la chaîne de télévision 2M, le 2  septembre, pour dénoncer les  dangers du PJD? Et depuis, rien  n’a changé dans son lexique, au  Parlement et ailleurs. On vient encore d’en avoir une nouvelle illustration  avec le congrès constitutif  de la Jeunesse de ce parti placé  sous le mot d’ordre: “Conscience  de la jeunesse face à l’obscurantisme”...
Dans un avenir prévisible, quel  peut être alors le destin d’une formation  comme le PAM?
En tout état de cause, aujourd’hui,  le PAM subit, nolens volens, une  contrainte majeure de “normalisation”.  Il doit ainsi voler de  ses propres ailes alors que Ali El  Himma a dû décrocher, depuis  quarante mois, en rejoignant le Cabinet  royal. Pour autant, ce conseiller  du Souverain a-t-il rompu toute  amarre avec cette formation? Il le  dit et le fait savoir. Il s’est encore exprimé  à ce sujet, fin février 2015, de  manière informelle mais publique,  en précisant qu’il n’interférait pas  dans la vie des partis politiques et  qu’il n’avait aucune relation avec  le PAM! Comme en écho, Ilyass El  Omary, membre influent du parti,  a validé ce recadrage dans une  interview à la chaîne de télévision  Al-Arabia, en déclarant que Ali El  Himma n’était «pas son ami personnel  ».
Des propos conséquents et crédibles?  Nombreux sont ceux qui  restent perplexes et dubitatifs à  cet égard, pas seulement du côté  de M. Benkirane.

Diplomatie partisane
Dans cette même ligne, comment  ne pas s’interroger sur le “statut”  dont paraît bénéficier le PAM –et  surtout Ilyass El Omary– à l’international.  Que cette formation  veuille s’employer activement  tant dans la diplomatie parlementaire  que partisane ne peut  qu’être porté à son crédit. Qu’elle  multiplie ainsi les initiatives et les  “coups” lui donne certainement  une plus–value alors que d’autres  partis plus anciens et membres  de divers réseaux internationaux  s’en tiennent pratiquement à un service minimum. Mais c’est  précisément ce dynamisme  au-dehors qui nourrit les commentaires.  Quand Ilyass El  Omary annonce le gel de la  reconnaissance de la RASD par  un État d’Amérique Latine,  quand il intervient dans la crise  malienne en faisant recevoir le  secrétaire général du Mouvement  national de libération de  l’Azawad, Bilal Ag Acherif, par le  Roi, quand il réunit les factions  palestiniennes à Skhirat, quand  il fait inviter une délégation sudafricaine  de l’ANC –conduite par  la propre fille du leader de cette  formation, Jacob Zuma– au  Forum Crans Montana à Dakhla,  13 mars 2015, cette question de  principe s’impose: n’était-il pas  mandaté, d’une manière ou  d’une autre, par le Méchouar?

Des alliances difficiles
C’est là, au final, un “plus” à la  diplomatie officielle, mais c’est  un élément accréditant le fait  qu’il n’agit pas intuitu personae  mais aussi avec la casquette du  PAM. De quoi conforter l’analyse  qui veut que ce parti, sans  Ali El Himma, n’a pas vraiment  coupé les ponts avec le Palais... Le banc d’essai des prochaines  élections communales du 4 septembre  2015 sera en tout cas un  test de cette situation. Suivant  les conditions d’organisation et  de déroulement des scrutins à  venir, l’on sera sans doute fixé  sérieusement à ce sujet et ce  sur la base de la “neutralité” de  l’administration.
Si ce processus électoral se déroule  dans des conditions globalement  correctes, le PAM peut-il  espérer améliorer ses résultats  de juin 2009? Nombreux sont  ceux qui en doutent fortement,  les contextes politiques étant  bien différents six ans après.  Sera-t-il bien placé aux élections  régionales, qui se tiennent  le même jour? Arrivera-t-il à  remporter des présidences de  conseils régionaux alors que  ce sera le “chacun pour soi”  du côté des quatre partis de  l’opposition et que des alliances  seront difficiles avec des formations  l’actuelle majorité? Enfin,  quelle sera, sur les bases de  tous ces scrutins, et de toutes  les combinaisons possibles auxquelles  ils pourraient donner  lieu, la carte politique du grand  rendez-vous que constituent en 2016 les élections relatives à la  Chambre des représentants?  La première hypothèse de travail  à relever a trait à la reconduction  de la majorité reprofilée  en octobre 2013 avec la participation  du RNI de Salaheddine  Mezouar aux côtés du PJD, du  MP et du PPS. Mais rien n’exclut  que, pour telle ou telle considération,  elle puisse également  conduire à une “ouverture”, à la  marge seulement, en direction  d’une ou même de plusieurs  autres partis.

Une épreuve homérique
S’ensuit ce corollaire: le retour  du PJD dans l’opposition est le  cas de figure le plus improbable  qui soit. Dans une deuxième  épure, le PAM a-t-il des chances  de faire l’objet d’un “repêchage”  majoritaire éventuel? Sur le  papier, la première réponse  qui vient à l’esprit est négative,  un abîme le séparant de  la formation islamiste. Mais, en  politique, on le sait, “il ne faut jamais  dire jamais”, l’exemple du  ralliement du RNI à la majorité  conduite par le PJD, en octobre  2013, en a été l’une des dernières  illustrations. Il reste que  la personnalité du “numéro 2”  du PAM, Ilyass El Omary, paraît,  pour l’heure, bien peu soluble  et recevable pour un Abdelilah  Benkirane éventuellement reconduit  après 2016.
La troisième hypothèse à évoquer  prolonge les deux premières:  s’il est de nouveau rejeté  dans l’opposition après 2016 et  jusqu’à 2021, le PAM pourra-til  “tenir”? Attendre –et ce sera  aléatoire jusqu’en 2021- est une  épreuve homérique qui commande  une forte dose d’endurance  et de conviction.
Une normalisation au coût politique  élevé pour une formation  devant changer alors toutes les  pièces de son logiciel de 2009...

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