LES PRÉDICATEURS OMAR BENHAMMAD ET FATIMA NEJJAR DEVANT LA JUSTICE LE 22 SEPTEMBRE 2016
En dehors des baigneurs habitués de la bande côtière s’étendant de la capitale, Rabat, à la ville de Casablanca, ils sont peu nombreux au Maroc à connaître El Mansouria. Prisée certes, on y croise surtout cependant des habitants de la ville de Mohammédia, distante d’une poignée de kilomètres, s’y prélassant au soleil et s’y désaltérant. C’est pourtant devenu ce mois d’août 2016 la plage la plus célèbre du Royaume, en même temps que le feuilleton, sans doute, de l’été, celui de Moulay Omar Benhammad et de Fatima Nejjar, avançait en péripéties. Les amants, appartenant tous deux au Mouvement unicité et réforme (MUR), islamiste, respectivement en tant que membre du conseil exécutif et deuxième vice-présidente, y ont été pris sur le vif en flagrant délit d’adultère, le 20 août 2016, par des éléments de la brigade nationale de la police judiciaire, qui y patrouillaient de bonne heure.
Les aiguilles indiquaient environ 7h; un horaire insolite mais arrangeant toutefois les deux tourtereaux, qui s’étaient retrouvés directement après la prière d’Al-Fajr pour passer un moment intime au bord de la mer. Mariés à la coutumière en cachette de leurs familles, lesquelles avaient refusé, mi-2016, leur projet d’union, ils ont cru qu’ils pouvaient être tranquilles à El Mansouria, généralement déserte aux aurores.
Idéologues assermentés
Une erreur fatale, comme il allait donc s’avérer par la suite. Et un coup dur qui non seulement les a emportés, puisque l’un et l’autre ont été débarqués aussitôt leur affaire ébruitée et peuvent à ce titre tirer un trait sur leurs carrières “dans les ordres”, mais éclabousse la nébuleuse islamiste au Maroc dans son entièreté. Leur procès, dont l’ouverture a été reportée au 22 septembre 2016 par le tribunal de première instance de la ville de Benslimane, devrait à cet égard être largement suivi.
C’est qu’au-delà de leurs fonctions officielles, M. Benhammad et Mme Nejjar sont surtout des figures reconnues de l’islamisme partisan national et leurs prêches, amplement relayés sur les réseaux sociaux, sont souvent suivis et commentés, au point d’avoir été élevés au rang d’idéologues assermentés du mouvement (pour l’anecdote, la vice-présidente sortante du MUR avait, ironiquement quand on juge de son histoire aujourd’hui, défrayé la chronique quelques années plus tôt en s’attaquant dans une vidéo aux moeurs prétendument légères des filles marocaines).
Investigations de terrain
A partir de là, on peut donc comprendre que certains leaders islamistes nationaux aient pris leur défense, à l’instar d’Ahmed Raissouni, qui a carrément assimilé le 22 août 2016 sur son site web leur arrestation à un “guet-apens”. Des allégations qui, d’ailleurs, ont valu à l’ancien président du MUR trois jours plus tard, le 25 août 2016, une mise au point ad hominem de la direction générale de la sûreté nationale (DGSN), qui a rétorqué dans un communiqué rapporté par l’agence de presse nationale Maghreb arabe presse (MAP) que “la BNPJ (brigade nationale de police judiciaire) a entamé une procédure qui entre dans ses prérogatives juridiques et qu’elle a traité les deux individus arrêtés, durant toutes les étapes de l’affaire, en tant que deux personnes en contravention avec la loi, abstraction faite de leur qualité ou de leur appartenance.” “L’opération d’interpellation s’est faite de manière fortuite, sur fond d’investigations de terrain que menaient les éléments de la BNPJ au sujet d’une affaire de trafic de drogue”, a-t-elle précisé.
Au passage, M. Raissouni est soupçonné d’avoir témoigné au mariage coutumier de M. Benhammad et Mme Nejjar, bien qu’il s’en soit défendu dans les médias. Cependant, beaucoup de sympathisants islamistes continuent à soutenir la thèse du complot; surtout que pour eux, l’arrestation s’est faite à un moment charnière, à quelques semaines des élections législatives, prévues le 7 octobre 2016.
En clair, l’affaire supposément montée de toutes pièces, participerait de l’agenda de ce que le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, qualifiait en juin 2016 dans la ville de Tanger d’”Etat parallèle”, et servirait susceptiblement à affaiblir le Parti de la justice et du développement (PJD), dont le MUR est l’aile associative, dans la perspective du scrutin. Qu’en est-il cela dit en réalité? Il est vrai, certes, que l’affaire n’arrange aucunement le PJD. Le président du MUR, Abderrahim Cheikhi, que l’ont dit proche de M. Benkirane, a d’ailleurs été prompt, dans un communiqué le 23 août 2016, à désavouer M. Benhammad et Mme Nejjar; non sans être excommunié par certains (le controversé cheikh salafiste Abou Naim, notamment, l’a vigoureusement attaqué dans une lettre sur sa page sur le site web Facebook). Cela dit, le procès- verbal des deux intéressés, fuité sur le journal électronique Telexpresse le 29 août 2016, accrédite sans ambages le discours de la DGSN.
Tentative de corruption
M. Benhammad et Mme Nejjar auraient bien eu des rapports sexuels. D’ailleurs, des mouchoirs contenant un liquide blanchâtre ressemblant à du sperme ont été saisis dans la voiture où ils ont été arrêtés. Ils devraient servir de pièce à conviction contre Mme Nejjar, sachant que l’épouse de M. Benhammad a renoncé à son droit de poursuivre son mari. Ce dernier demeure cependant toujours sous le coup du chef d’accusation de tentative de corruption. Toutefois, les deux pourraient s’en sortir uniquement, au pire, avec une condamnation en sursis, voire être au bout du compte relaxés si le tribunal se décide à être clément à leur égard.
Soutien indéfectible
D’ailleurs, de ce point de vue, ils n’ont pas été placés, suite à leur interpellation, en détention provisoire, comme il arrive souvent dans ce genre de cas. C’est moralement, cela dit, qu’ils devraient le plus rester atteints à l’avenir. Car si, comme on l’a vu, ils bénéficient du soutien indéfectible de plusieurs personnalités salafistes, c’est moins le cas dans leur entourage intime. Blessée, Mme Benhammad a d’ores et déjà demandé le divorce. Son époux, avec lequel elle a sept enfants, ne devrait plus être admis au domicile familial.
Du côté de Mme Nejjar, ses six enfants ne lui pardonnent pas qu’elle ait trahi la mémoire de leur père, l’ancien président, pour l’anecdote, du bureau exécutif du MUR, Abdeljalil Jasni, décédé mi-2015. C’est pour cette raison, d’ailleurs, qu’ils avaient initialement rejeté son idée de mariage avec M. Benhammad, venu demander la main de la veuve de son ancien compagnon de croisade alors que ce dernier venait à peine d’être enterré.
M. Benkirane, bien qu’il semble en apparence avoir perdu au change en voyant un de siens laminé sans scrupule par les médias, gagne surtout de s’être débarrassé d’un de ses opposants les plus farouches, qui plusieurs fois n’a pas hésité à mettre sa politique à la tête de l’Exécutif à l’amende. Il ne s’est, du reste, pas prononcé au sujet de l’affaire.