Le code pénal dans tous ses états

Mustapha Sehimi Mustapha Sehimi

Bien discrète depuis un  certain temps, la société  civile trouve désormais  le rebond avec le projet  de réforme du Code pénal rendu  public par le département de la Justice.  C’est qu’il s’agit là d’un dossier  qui n’est ni “technique” ni “économique”  offrant peu de capacité de  mobilisation, mais d’autre chose:  une mise à plat de la vie sociale  dans ses multiples aspects.  Qu’en est-il en substance? La  peine de mort est assurément l’un  d’entre eux. Abolition ou pas? Le  texte propose la réduction des  condamnations à cette peine de 33  à 11. Une avancée qui ne satisfait  point les abolitionnistes de tout  poil, mobilisés depuis des années  à ce sujet. Ils mettent en avant les  dispositions de l’article 20 de la  nouvelle Constitution de 2011 sur  «le droit à la vie... droit premier de  tout être humain» et qui doit être  protégé par la loi. Ils se fondent  également sur l’article 22 de la  même loi suprême, lequel interdit  qu’il soit «porté atteinte à l’intégrité  physique ou morale de quiconque,  en quelque circonstance que ce  soit, et par quelque partie que ce  soit, privée ou publique». Sur cette  base-là, un condamné à mort serait  fondé à soulever une exception  d’inconstitutionnalité visant à  annuler cette peine dès l’adoption  de la loi organique relative à la cour  constitutionnelle.

Enfin, sont également invoqués  dans ce sens des résolutions de  l’Assemblée générale de l’ONU  votées annuellement depuis celle du 18 décembre 2007 (le Maroc se  rangeant avec les 34 abstentions),  ainsi que le deuxième protocole  facultatif du Pacte international des  droits civiques et politiques relatif à  l’abolition de la peine de mort.
Pour Mustapha Ramid, fortement  interpellé, il ne faut pas tirer du  “droit à la vie” constitutionnalisé la  suppression de la peine capitale. Il  ajoute encore qu’il y a un décalage  entre l’“activisme” de certaines  ONG et l’état d’esprit de la majorité  de la société. A preuve le fait qu’en  juillet 2014, le projet de loi réformant  le code de justice militaire a bien  réduit de 16 à 5 les condamnations à mort et il a fait l’objet d’un vote  à l’unanimité des membres de la  Chambre des représentants. En  droit comparé, il vaut de noter que  la position actuelle du Maroc n’est  guère isolée, tant s’en faut. Ainsi, la  pine de mort est appliquée aux États-  Unis dans 32 États fédérés sur 50,  en Inde, en Chine, au Pakistan, en  Indonésie, au Japon et en Indonésie  et qu’elle fait l’objet d’un moratoire  dans des dizaines d’autres, dont  le Maroc, depuis l’exécution du  Commissaire Tabet en 1993.

Autre aspect de la vie sociale en  débat: le durcissement des peines frappant le harcèlement et les  agressions sexuelles. En plus des  peines de prison, de dix à vingt  ans, le nouveau projet a prévu une  amende punissant l’agresseur ou  le violeur 10.000 à 100.000 Dh et  plus si la victime est en situation  de handicap ou de vulnérabilité.  Des interrogations fusent déjà  sur l’applicabilité de ce texte.  La formulation est ainsi jugée  équivoque et elle peut conduire à  des interprétations différentes et,  partant, à des jugements aléatoires.  Comment se plaindre alors que la  femme harcelée peut avoir affaire  à un inconnu sur la voie publique  et sur la base de quels éléments  établis?

Les réactions sont tout aussi vives  à propos de l’article 420 du code  pénal, qui élargit à un «membre  de la famille”, homme ou femme,  des circonstances d’excuse s’il a  surpris son conjoint au domicile  conjugal en situation d’adultère.  Cette exception d’excuse porte sur  des coups “portés sans intention  de donner la mort, même s’ils  l’ont occasionnée”: c’est le crime  d’honneur, ou passionnel, qui se  voit étendu à tous les membres de la  famille alors qu’il ne concernait que  le chef de famille. Dans le projet du  gouvernement, les matières à débat  sont beaucoup plus nombreuses  et des étapes sont prévues avant  sa finalisation et son adoption.
Une relance qui ne manquera pas  d’accentuer les clivages sur des  questions de société qui avaient  ressurgi en 2012, dès la mise en  place du cabinet Benkirane.

 

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