Quand la métropole parle wolof
Reportage. Depuis fin 2012, un marché particulier a vu le jour en plein coeur de la ville de Casablanca. Ici, la communauté d’Afrique subsaharienne étale son savoir-faire et ses produit faits maison.
Nous sommes à quelques pas de l’avenue des FAR, une des principales artères de la ville de Casablanca. Ici, sur l’esplanade de Bab Lkbir, plus connu, à tort, par Bab Marrakech, des ressortissants d’Afrique subsaharienne ont introduit un business très singulier.
Majoritairement des femmes, elles proposent des prestations esthétiques, comme le tressage, la vente, la pose ou encore le greffage d’ongles et de sourcils. Assises sur des chaises en plastique, elles s’organisent en groupes de 5 ou 6, et commencent à accueillir leur clientèle, en plein air. Une clientèle qui ne cesse de grandir de jour en jour.
Un espace stratégique
De nombreuses femmes marocaines préfèrent venir ici, plutôt que d’aller dans un salon de coiffure ou un centre de beauté. «Ici, les prix sont nettement inférieurs. Des fois, on peut payer quatre fois moins que dans un salon, pour le même service», nous confie Chaymae, une jeune fille habituée à venir ici. Mais la question d’hygiène rend d’autres femmes sceptiques quant aux prestations fournies par les tresseuses subsahariennes. Zaynab, qui venait ici pour découvrir ce monde pour la première fois, nous confirme cela. «J’ai entendu parler du marché, alors je suis venue le visiter par curiosité. Mais je ne peux pas prendre le risque de me faire des extensions ici, car la qualité des produits utilisés n’est pas garantie». Toutefois, les tresseuses insistent sur la bonne qualité de leurs services. Lago, une Ivoirienne installée ici depuis 2013, nous indique que la clientèle ne cesse de s’élargir, ce qui démontre que les services du marché sont appréciés. Mais comment un tel business a pris place soudainement dans cet espace stratégique de la métropole? Une ressortissante sénégalaise nous raconte les débuts du célèbre Marché Sénégal. «Au début, on se contentait d’exercer nos activités en dehors des murailles du marché. On était encore étrangers, et on n’osait pas s’aventurer à l’intérieur, de peur de la réaction des gens ici». Fin 2012, alors que le Maroc commençait à afficher un intérêt particulier à son voisinage africain, les choses commençaient à s’améliorer. Les autorités se montraient plus indulgentes envers les immigrés. Cette évolution était une bénédiction pour la communauté subsaharienne. «Ainsi, on a pu s’installer à l’intérieur de la médina sans soucis et exercer dans des conditions plus favorables», poursuit notre interlocutrice.
Senteurs subsahariennes
Mais les tresseuses ne sont que la petite partie visible du marché africain. Pour mieux saisir la présence subsaharienne ici, avec toutes ses senteurs, ses goûts et ses couleurs, il faut avancer encore plus au coeur de la médina et franchir la porte principale du «souk namoudaji», littéralement marché pilote. Ici, une grande partie des 220 magasins est occupée par des commerçants subsahariens.
Ces derniers ont sous-loué ces boutiques d’à peine 4 mètres carrés aux locataires initiaux, pour en faire des vitrines du mode de vie dans leur pays d’origine. Ici, on peut trouver des produits importés du Mali, du Sénégal et d’autres pays africains, mais aussi d’Asie et d’Europe. L’odeur du poisson, du poulet et du riz parfume l’air. Les plats africains sont à l’honneur avec des tarifs très accessibles ne dépassant pas les 30 dirhams. Même si leur situation a connu une véritable amélioration, les ressortissants subsahariens du marché ne cachent pas leur désarroi. «En mars 2015, une Guinéenne enceinte s’est fait tabasser par un Marocain. Elle a fait fausse couche, et l’agresseur s’en est sorti indemne, sans être poursuivi», s’indigne Mostapha, un Sénégalais du marché.
Situation indécise
«Il faut dire que la situation peut dégénérer à tout moment. Mostapha nous explique d’ailleurs que depuis la diffusion, dimanche 4 octobre 2015, d’un reportage sur le marché sur une chaîne marocaine, la tension est montée d’un cran. S’exprimant au micro de ladite émission, certains Subsahariens du marché dénonçaient des pratiques racistes dont ils sont victimes. Cela n’a pas plu à certains Marocains du marché, et maintenant ils nous insultent et nous menacent. Nous ne cherchions à aucun moment à dire que les Marocains sont raciste», poursuit notre interlocuteur. Prince, un jeune ressortissant guinéen, ajoute que les Marocains sont en général sympathiques, estimant que les relations entre les deux parties ne sont pas aussi tendues que l’on pourrait croire.
Un exemple très parlant se trouve une vingtaine de mètres de l’endroit où les tresseuses exercent. Ici existe un café populaire, dont le propriétaire marocain a développé une certaine complicité avec ces immigrés. Il arrive des fois que les forces de l’ordre lancent des raids pour chasser les marchands ambulants. De ce fait, les tresseuses sont obligées de se retirer provisoirement. C’est alors là que le propriétaire ouvre les portes de son échoppe à ces femmes, pour 5 dirhams chacune, en attendant que la «tempête » passe. Ainsi est né le fameux café des Africains, véritable modèle de cohobation entre immigrés et autochtones.