ÉNERGIE. Le programme du nucléaire marocain est en marche. Alternative énergétique à terme, il devrait alléger la facture pétrolière et ouvrir de nouvelles perspectives d’usage civil. Les secteurs électrique, hydraulique, sanitaire et agricole seraient les principaux bénéficiaires.
Le Maroc va-t-il se doter de l’énergie nucléaire pour des besoins proprement civils? Voilà une question que l’on balbutie à demi-mot depuis des années et qui, jusqu’ici, semblait relever de la plus haute confidentialité officielle. Le factuel de ces derniers jours a levé un coin de voile sur le sujet.
Un groupe d’experts de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est au Maroc pour un séjour de travail du 19 au 26 octobre 2015. Objectif de cette visite de l’autorité mondiale du domaine, évaluer les capacités globales du Maroc à mener à son terme un programme électronucléaire.
En fait, tout un programme en soi, dans la mesure où la mission en question, connue sous le nom de INIR, devait s’intéresser à une vingtaine d’aspects d’ordre technique, réglementaire, sécuritaire, ainsi que l’encadrement des ressources humaines et la gestion des déchets radioactifs. C’est donc fait. On est à mi-chemin de la réalisation, dès lors que l’opinion publique, plus ample informée, est prise à témoin. Le nucléaire marocain en projet n’est plus cloîtré dans les coursives insonores du gouvernement et des services concernés. Une démarche nécessaire car, dans l’imaginaire populaire et dans les chancelleries étrangères, le nucléaire fait peur. Il est spontanément assimilé à l’extermination humaine à grande échelle.
Mesures de sécurité
Sans remonter au déluge apocalyptique d’Hiroshima et Nagasaki, au cours de la Deuxième Guerre mondiale, les images plus récentes qui viennent à l’esprit sont celles de Tchernobyl et de Fukushima. Toute une pédagogie de préparation et d’accompagnement est donc incontournable pour que les langues autorisées se délient dans un sens rassurant; surtout au niveau international.
Et pourtant, c’est en 2003 que le Centre national de l’énergie, des sciences et des techniques nucléaires (CNESTEN) de la Maâmora a été ouvert. Il est situé entre Salé et Kénitra sur une superficie de 25 hectares. L’endroit est encerclé de caméras de vidéo-surveillance, avec toutes les mesures de sécurité qui vont avec: vérification d’identité, portiques de contrôle, empreintes digitales et dosimètres de mesure d’éventuelles radiations à la sortie. Si le lieu est pour le moment destiné à la recherche, il possède néanmoins un réacteur opérationnel; ce qui en fait un endroit hyper-sécurisé. On n’y entre pas comme dans un moulin; mais le site en lui-même n’a pourtant rien d’ultra secret, comme s’il devait subitement jaillir du fond des chemins de traverse de l’étendue forestière de la Maâmora. Des visites d’élèves de lycées y sont fréquemment organisées.
Dessalement de l’eau de mer
Le coup d’envoi d’une grande opération de communication a été donné par un conseil d’administration du CNESTEN, en décembre 2014, présidé par le ministre de l’Energie, des Mines, de l’Eau et de l’Environnement, Abdelkader Amara. Le programme 2015 y a été annoncé: intégrer dans le tissu industriel du Royaume les technologies nucléaires à usage électrique, hydraulique, sanitaire et agricole. Une agence nationale chargée de la sécurité nucléaire et radiologique a été créée. Elle devait surveiller le fonctionnement des installations et la certification de leurs procédés et produits, selon les normes de l’AIEA. L’un des domaines d’utilisation, qui a été évoqué dès le démarrage du chantier nucléaire national, concerne le dessalement de l’eau de mer avec, justement, de l’énergie nucléaire. Une centrale a été prévue à cet effet à Tan Tan. Il n’est pas exclu que ce projet ait été à l’ordre du jour des déplacements de Abderrahmane Youssoufi, ancien premier ministre, en Inde, en Chine et au Pakistan, en 2000-2001. Même si ce volet n’a fait l’objet d’aucun communiqué officiel, ni de fuites entendues sur le carnet de voyage dans ces trois puissances nucléaires.
Valeur aujourd’hui, le Maroc ne produit pas d’énergie nucléaire; mais il ne s’est pas interdit d’en produire, un jour. Plus que jamais, ce jour J paraît proche. D’ores et déjà retenu comme une option alternative à terme, le nucléaire devrait permettre la production de l’électricité à partir de 2030. Si ce n’est pas pour demain, c’est pour après-demain; il fallait juste s’y prendre dès maintenant.
Dimension géostratégique
Avec les panneaux photovoltaïques et les parcs d’éoliennes, le Maroc devrait logiquement s’exonérer d’une bonne part de la facture énergétique. Une autonomie relative, mais combien précieuse en terme de liberté d’action sur la scène internationale.
Cette perspective a été mise en évidence par un communiqué du ministère de tutelle, daté du 16 septembre 2015, où l’on n’a pas fait l’économie d’un bémol assourdissant: «à moins que les données régionales ne changent». Tout est dans cette périphrase qui rappelle la dimension géostratégique du nucléaire. Particulièrement dans un Maghreb où la posture belliqueuse de nos voisins de l’Est laisse planer des doutes sur le caractère prétendument pacifique de leur projet d’acquisition de la technologie nucléaire.