Le Maroc à l'heure du nucléaire

Le directeur général de l’AIEA, Yukiya Amano, en visite au CNESTEN, le 23 juin 2014, . Le directeur général de l’AIEA, Yukiya Amano, en visite au CNESTEN, le 23 juin 2014, .

ÉNERGIE. Le programme du nucléaire marocain est en marche. Alternative énergétique à terme, il devrait alléger la facture pétrolière et ouvrir de nouvelles perspectives d’usage civil. Les secteurs électrique, hydraulique, sanitaire et agricole seraient les principaux bénéficiaires.

Le Maroc va-t-il se doter de  l’énergie nucléaire pour  des besoins proprement  civils? Voilà une question  que l’on balbutie à  demi-mot depuis des années et qui,  jusqu’ici, semblait relever de la  plus haute confidentialité officielle.  Le factuel de ces derniers jours a  levé un coin de voile sur le sujet.

Un groupe d’experts de l’Agence  internationale de l’énergie atomique  (AIEA) est au Maroc pour  un séjour de travail du 19 au 26 octobre 2015. Objectif de cette  visite de l’autorité mondiale du  domaine, évaluer les capacités  globales du Maroc à mener à son  terme un programme électronucléaire.

En fait, tout un programme en soi,  dans la mesure où la mission en  question, connue sous le nom de  INIR, devait s’intéresser à une vingtaine  d’aspects d’ordre technique,  réglementaire, sécuritaire, ainsi  que l’encadrement des ressources  humaines et la gestion des déchets radioactifs. C’est donc fait. On est  à mi-chemin de la réalisation,  dès lors que l’opinion publique,  plus ample informée, est prise à  témoin.  Le nucléaire marocain en projet  n’est plus cloîtré dans les coursives  insonores du gouvernement et des  services concernés. Une démarche  nécessaire car, dans l’imaginaire  populaire et dans les chancelleries  étrangères, le nucléaire fait peur.  Il est spontanément assimilé à  l’extermination humaine à grande  échelle.

Mesures de sécurité
Sans remonter au déluge apocalyptique  d’Hiroshima et Nagasaki,  au cours de la Deuxième Guerre  mondiale, les images plus récentes  qui viennent à l’esprit sont celles  de Tchernobyl et de Fukushima.  Toute une pédagogie de préparation  et d’accompagnement est  donc incontournable pour que  les langues autorisées se délient  dans un sens rassurant; surtout au  niveau international.

Et pourtant, c’est en 2003 que  le Centre national de l’énergie,  des sciences et des techniques  nucléaires (CNESTEN) de la Maâmora  a été ouvert. Il est situé entre  Salé et Kénitra sur une superficie  de 25 hectares. L’endroit est encerclé de caméras de vidéo-surveillance,  avec toutes les mesures de  sécurité qui vont avec: vérification  d’identité, portiques de contrôle,  empreintes digitales et dosimètres  de mesure d’éventuelles radiations  à la sortie. Si le lieu est pour  le moment destiné à la recherche,  il possède néanmoins un réacteur  opérationnel; ce qui en fait  un endroit hyper-sécurisé. On n’y  entre pas comme dans un moulin;  mais le site en lui-même n’a pourtant  rien d’ultra secret, comme s’il  devait subitement jaillir du fond  des chemins de traverse de l’étendue  forestière de la Maâmora. Des  visites d’élèves de lycées y sont  fréquemment organisées.

Dessalement de l’eau de mer
Le coup d’envoi d’une grande opération  de communication a été  donné par un conseil d’administration  du CNESTEN, en décembre  2014, présidé par le ministre de  l’Energie, des Mines, de l’Eau et  de l’Environnement, Abdelkader  Amara. Le programme 2015  y a été annoncé: intégrer dans  le tissu industriel du Royaume  les technologies nucléaires à usage électrique, hydraulique,  sanitaire et agricole. Une agence  nationale chargée de la sécurité  nucléaire et radiologique a été  créée. Elle devait surveiller le fonctionnement  des installations et  la certification de leurs procédés  et produits, selon les normes de  l’AIEA. L’un des domaines d’utilisation,  qui a été évoqué dès le  démarrage du chantier nucléaire  national, concerne le dessalement  de l’eau de mer avec, justement,  de l’énergie nucléaire. Une centrale  a été prévue à cet effet à Tan  Tan. Il n’est pas exclu que ce projet  ait été à l’ordre du jour des déplacements  de Abderrahmane Youssoufi,  ancien premier ministre, en  Inde, en Chine et au Pakistan, en  2000-2001. Même si ce volet n’a  fait l’objet d’aucun communiqué  officiel, ni de fuites entendues sur  le carnet de voyage dans ces trois  puissances nucléaires.

Valeur aujourd’hui, le Maroc ne  produit pas d’énergie nucléaire;  mais il ne s’est pas interdit d’en  produire, un jour. Plus que jamais,  ce jour J paraît proche. D’ores et  déjà retenu comme une option  alternative à terme, le nucléaire devrait permettre la production de  l’électricité à partir de 2030. Si ce  n’est pas pour demain, c’est pour  après-demain; il fallait juste s’y  prendre dès maintenant.

Dimension géostratégique
Avec les panneaux photovoltaïques  et les parcs d’éoliennes, le  Maroc devrait logiquement s’exonérer  d’une bonne part de la facture  énergétique. Une autonomie  relative, mais combien précieuse  en terme de liberté d’action sur la  scène internationale.

Cette perspective a été mise en  évidence par un communiqué du  ministère de tutelle, daté du 16  septembre 2015, où l’on n’a pas  fait l’économie d’un bémol assourdissant:  «à moins que les données  régionales ne changent». Tout est  dans cette périphrase qui rappelle  la dimension géostratégique du  nucléaire. Particulièrement dans  un Maghreb où la posture belliqueuse  de nos voisins de l’Est  laisse planer des doutes sur le  caractère prétendument pacifique  de leur projet d’acquisition de la  technologie nucléaire.

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