LE PARADOXE MAROCAIN

Abdellatif Mansour

La migration marocaine passée au peigne fin


91% des Marocains souhaitent s’établir à l’étranger. 75% de nos MRE voudraient retourner au pays. Le Maroc est dans cette fourchette paradoxale qui renseigne sur le moral du corps social.

Les enquêtes des cabinets privés, bien que travaillant sur commande, ne font pas forcément dans le sens du poil. Elles peuvent aboutir à des données chiffrées parfois déconcertantes, souvent pas très loin d’une réalité insoupçonnée. La toute récente en date et la plus parlante est celle réalisée par l’institut Rekrute sur la migration des cadres marocains vers les pays d’Europe occidentale ou d’Amérique du nord.

Ce sont quasiment tous des diplômés d’études supérieures déjà engagés dans une recherche active d’emplois à la hauteur de leur formation ou ayant des responsabilités jugées peu valorisantes. Ils sont près de 78% dans ce cas. Les trois quarts d’entre eux ont effectué leurs études au Maroc, alors que 12% sont des lauréats d’instituts étrangers. Ce ne sont pas des seniors en quête d’ultime débouché propre au troisième âge. Ils sont pour 47% âgés de 24 à 34 ans et pour 19% de moins de 25 ans. C’est donc de cette tranche d’âge active et productive que le Maroc est en train de se dépouiller; d’autant plus que 56% sont des célibataires endurcis malgré eux. À l’image d’une société foncièrement masculine où l’homme dispose de toutes les initiatives décisives, les candidats à l’émigration sont à 65% des hommes.

Les dissertations officielles sur une jeunesse potentielle d’avenir en prennent un coup. Toujours est-il que les motivations du désir des jeunes à servir sous d’autres cieux sont significatives. Cela va des meilleures évolutions des carrières à un meilleur environnement du travail, en passant par une meilleure qualité de vie. La déduction est toute faite. Si ces cadres et autres techniciens de haut niveau en arrivent à vouloir émigrer, c’est que leurs motivations n’ont pas trouvé preneurs dans leur pays. Et pourtant que n’a-t-on subi de discours sur le besoin du Maroc de ce genre de profil pour qui les portes et les fenêtres d’embauche sont grandes ouvertes.

À l’évidence, il y a problème quelque part. La fameuse inadéquation entre formation et exigences du marché de travail n’est plus de mise dans ce cas de figure. Il faut donc chercher dans un ailleurs qu’on n’a pas encore su ou pas voulu identifier, isoler et traiter comme dans les laboratoires de recherche fondamentale. Le jour où on réussira à le faire, nous entrerons de plain pied dans la sphère des économies émergentes. L’équipe Othmani a du pain sur la planche.

Ceci pour le haut du pavé de l’élite marocaine, toutes spécialités et tous secteurs d’interventions confondus. Le meilleur est à l’avenant. Il est dans l’élargissement de l’assiette des sondés à toute la population à partir d’échantillons représentatifs de l’ensemble. On est à ce titre édifié, mieux, interloqué. Pas moins de 91% des Marocains seraient prêts à quitter le pays pour se refaire une vie à l’étranger. Sommes-nous dans ce même pays que nous vouons à l’idolâtrie identitaire?! Vu de l’extérieur et à entendre les éloges des visiteurs étrangers, le Maroc est immensément attractif. Même si, cela dit entre nous, le taux de retour reste faible. Mais pourquoi donc nos compatriotes voudraient le quitter? Sans aller jusqu’à s’en remettre à une incantation qui relève des voies insondables de l’au-delà, ce genre de données renseignent, ici bas, sur l’état de santé morale du corps social. Abdelkrim Benatiq, chargé du pôle migratoire des Marocains de l’étranger, a de quoi s’occuper pour tenter de démêler le comment du pourquoi de ce phénomène.

La destination privilégiée des émigrés marocains est sans conteste le Canada. Dans ce pays à la dimension d’un continent peu peuplé, les arrivants des quatre points cardinaux sont les bienvenus. Ceci dit, les pouvoirs publics sont très regardants sur les conditions d’octroi d’un visa d’entrée et la demande d’installation durable. Le droit à la différence étant reconnu et protégé, l’intégration sociale est plus facile qu’ailleurs. Seule la dureté du climat peut avoir un effet dissuasif. Le temps polaire est allégrement bravé par les «Marocains du monde» qui en ont vu d’autres partout où ils sont.

Quelles que soient les conditions d’accueil et de vie, l’appel du pays d’origine est toujours vivace. Ils sont, d’après cette étude, 74% à penser retourner un jour au bercail natal, pour le restant de leur vie. Comme quoi, «chassez le naturel, il revient au galop». On peut y ajouter que «la vérité, c’est ce que l’imbécile appelle paradoxe»

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