Cette femme représente, à elle seule, toutes les dimensions d’une société française multiculturelle; pas seulement par les origines, mais aussi par la pensée. Que l’on partage ou pas ses idées, l’engagement politique et socialogique de Christiane Taubira fait toujours réagir, parfois bruyamment et violemment. Mme Taubira, militante indépendantiste native de Guyane, un 2 février 1952, fait actuellement la Une des journaux parisiens et alimente les discussions jusque dans les chaumières, comme pour corser des hivers anormalement doux. Dans le gouvernement de François Hollande, elle hérite du ministère de la Justice, l’un des départements les plus sensibles.
Elle sait qu’elle est choisie pour cela; elle y va quand même, presque gaiment, la fleur au fusil, au nom du droit et de la loi. Le mardi 26 janvier 2016, elle officialise une démission déjà prise des mois auparavant. C’est à bicyclette qu’elle s’est rendue pour la dernière fois à son ministère, juste pour dire adieu à ses anciens collaborateurs. Le vélo est l’un de ses signes particuliers. Elle s’en sert souvent pour affirmer son anti-conformisme. La loi sur la déchéance de la nationalité, votée par la chambre des représentants, mercredi 10 février 2016, ramène Mme Taubira à l’actualité.
Car, c’est à cause de cette loi qu’elle avait claqué la porte du gouvernement. Même si la dernière mouture a été débarrassée du ciblage des binationaux, Mme Taubira reste farouchement contre. Elle considère que cette législation ne peut que continuer à engendrer une discrimination supplémentaire, dans la vie de tous les jours, à l’égard des binationaux, puisque ce sont eux les premiers à être suspectés d’apologie ou d’implication dans des projets ou des actes terroristes. Elle dénonce un risque patent de voir un terroriste potentiel derrière chaque visage bronzé sous des cheveux crépus; encore pire, dans chaque musulman pratiquant.
Un degré de plus sur l’échelle du délit de faciès et d’accoutrement. Une semaine après sa démission, Mme Taubira sort un livre où elle explique les raisons de son départ. Dans “Murmures à la jeunesse”, elle n’a aucune difficulté à expliquer sa position, vu son éloquence tribunesque reconnue et sa parfaite maîtrise du sens et de l’apparence des mots. Sur le front du terrorisme et de l’arsenal juridique qui va avec, nous sommes éminemment concernés, ne serait-ce qu’à travers nos RME, qui tombent forcément sous le coup des dégâts collatéraux de la nouvelle législation.
La coopération franco-marocaine dans la lutte anti-terroriste a démontré toute son efficacité, permettant de déjouer des projets criminels et d’éviter bien des drames à la France. Et pourtant, Mme Taubira a toujours semblé avoir quelques réticences à s’y inscrire; bien que la nature et les prérogatives propres à son département s’y prêtent.
Par contre, ses accointances avec l’Algérie sont de notoriété médiatique. C’est d’ailleurs au micro d’une radio algérienne que Mme Taubira a annoncé son désaccord avec les nouvelles lois sur la déchéance de la nationalité française. Maintenant qu’elle a tout son temps pour elle, un séjour au Maroc ne lui ferait pas de mal. Elle pourrait s’informer librement à partir de sources multiples et contradictoires. Tout en faisant du vélo.