La Foire du livre d’occasion se poursuit jusqu’au 30 avril, place Sraghna, à Casablanca
Reportage. Depuis le 10 avril 2015, la place Sraghna, à Casablanca, abrite la 8ème édition de la foire du livre d’occasion. Un événement initié par l’Association des bouquinistes de Casablanca, en partenariat avec le ministère de la Culture, qui se poursuit jusqu’au 30 avril 2015.
En plein quartier très animé de Derb Soltan, à Casablanca, se tient la foire du livre d’occasion, qui a démarré le 10 avril 2015 et qui se poursuit jusqu’au 30 avril 2015. Un événement initié par l'Association des bouquinistes de Casablanca, en partenariat avec le ministère de la Culture.
Au beau milieu de la fameuse place Sraghna, où fleurit un commerce informel qui fait le bonheur des habitants de la ville, des tentes sont érigées pour abriter une marchandise d’un type inhabituel. A quelques encablures de la fameuse kissaria Hfari, les quelque 600.000 livres exposés volent la vedette aux produits, bon marché, que donnent à voir les étalages multicolores des vendeurs à la sauvette. Bon marché, c’est ce qui qualifie également les bouquins exhibés dans cette foire qui souffle, cette année, sa 8ème bougie sous le thème “Le livre, miroir de la société”.
Pas loin du charivari des grands taxis blancs qui déversent des centaines de voyageurs dans la célèbre “Saha” (place), les tentes offrent un répit insoupçonné dans cette zone où la sécurité fait défaut. Conscients de cette défaillance, les organisateurs de cet événement culturel ont posté des gardiens, recrutés parmi les habitants du quartier, pour assurer la sécurité des visiteurs et des exposants. A l’intérieur des tentes, les visiteurs, de tous les âges, paraissent concentrés sur leur recherche, dans le calme le plus absolu. «Généralement tout se passe bien. Il arrive rarement que des bagarres éclatent, provoquées par les enfants du quartier», nous confie un bouquiniste.
Havre de paix
Dans les quelque 40 stands de bouquinistes venant de Casablanca, Rabat, Settat et Marrakech, toutes sortes de livres s’offrent aux regards des curieux, qui les manipulent dans tous les sens. Des romans, des livres spécialisés, des livres de différentes langues, des manuels scolaires, de vieilles revues marocaines et étrangères… sont exposés. Pour se repérer dans ce désordre, les acquéreurs n’hésitent pas à demander assistance aux vendeurs, qui connaissent leurs marchandises par coeur. Une cliente en voile intégral s’enquiert d’un livre des “hadiths qodsi” qu’elle n’arrive pas à dénicher dans le tas. Le maître du stand lui assure l’avoir et arrive à l’extraire d’une pile hétérogène de livres. «Souvent les clients viennent nous voir pour commander des livres. Quand nous les recevons, nous les gardons pour eux», déclare le propriétaire du stand.
C’est dire qu’un bouquiniste n’est pas un commerçant comme les autres. Tel un pharmacien, il entretient avec ses clients un rapport qui va au-delà du simple intérêt financier. Il leur conseille des lectures plus appropriées et les oriente vers les livres qui répondent le mieux à leurs besoins.
En plus de ce service de choix, les amateurs des livres trouvent leur bonheur dans cette foire où les prix incitent à la lecture. En effet, à partir de 2 DH, les petites bourses peuvent acquérir un bouquin d’occasion. Les bouquinistes se réjouissent de pouvoir contribuer à encourager la lecture. Ils avouent, par la même, bien vendre lors de cette foire. «Nous avons écoulé la moitié de la marchandise durant les 3 premiers jours. C’est également durant cette période que les meilleurs livres ont été vendus», nous confie Youssef Boura, président de l'Association des bouquinistes de Casablanca.
Les bonnes affaires
L’année dernière, lors de la 7ème édition, 200.000 livres ont été vendus. Malheureusement, ce boom est éphémère, tout comme cette foire. Une fois que le rideau tombe sur cette manifestation, la réalité rattrape les bouquinistes et les replonge dans leur quotidien qui n’est pas tout rose. La galère reprend pour ces marchands du savoir, qui disparaissent progressivement. Sans vouloir jouer les nostalgiques, on peut avancer que ce métier est en train d’agoniser. Cette profession, essentiellement masculine, tombe en désuétude. Concurrencés par l’édition numérique, les livres usagés, comme les neufs d’ailleurs, peinent à trouver acquéreur. Les “joutiyas”, dédiées à ce commerce, rétrécissent comme une peau de chagrin, qu’il s’agisse de la rue el-Gza ou de Bab El Had, à Rabat, ou encore du marché aux puces el-Bheira, à Casablanca. La métropole, avec ses quelque 3 millions d’âmes, ne compte que 40 bouquinistes nichés principalement dans les marchés des quartiers marginalisés de la ville: Koréa, Chtayba de Hay Mohammedi, la vieille ville et Derb Ghallef.
Dur dur d’être bouquiniste
Exerçant au milieu du vacarme et de la pollution, les bouquinistes travaillent la plupart du temps dans des conditions pénibles. Youssef Boura, qui tient une échoppe au marché de Koréa, à Casablanca, depuis 28 ans, exerce à proximité des menuisiers. Il supporte tant bien que mal le bruit continu des machines et la poussière du bois qui n’est pas dénuée de danger pour la santé. «Nous pratiquons un métier difficile qui demande beaucoup de patience, de témérité et d’argent. En plus, il faut avoir une grande culture pour pouvoir satisfaire les demandes des clients et les fidéliser. Après 28 ans, je me demande toujours si mes clients sont contents de mes services». Et comme ce n’est pas une profession où on fait fortune et que les bouquinistes ne cherchent pas initialement à s’enrichir, il n’est pas rare qu’ils sacrifient le gain matériel face à des occasions inespérées, de livres précieux. C’est que dans cette corporation, la passion l’emporte sur l’argent.
Loin de tout misérabilisme, les bouquinistes s’accrochent et continuent à se battre pour continuer d’exister. «Nous avons l’amour du livre. Pour nous, ce n’est pas une simple marchandise. Nous avons la possibilité de transformer nos boutiques en snacks ou en épiceries et de gagner beaucoup plus d’argent. Mais nous refusons de le faire», assure un bouquiniste de Derb Ghallef.
L’amour du métier et l’attachement au livre, c’est cela qui sauve cette profession, qui prépare sa relève parmi les jeunes. Nabil, jeune homme de 35 ans, travaille depuis une dizaine d’années aux côtés de Abdellah, célèbre bouquiniste à Rabat. Déjà, il voue un culte pour cette profession et caresse le rêve d’avoir sa propre boutique pour continuer à faire le bouquiniste.