Faillite. Le milliardaire saoudien investit en Ethiopie l’argent qu’il a puisé dans la Société anonyme marocaine de l’industrie du raffinage (La Samir) avant de vider ses caisses et la laisser couler sous les dettes.
La presse éthiopienne ne parle, ces derniers jours, que des “prouesses” de l’homme d’affaires Mohammed Al Amoudi, milliardaire Saoudien né en Ethiopie, qui a remporté, face à Total et Oil Libya, le marché de distribution pétrolière à Djibouti. Cela s’est déroulé quelques jours seulement après lun bref séjour au Maroc durant lequel le détenteur de la deuxième fortune en Arabie saoudite, qui n’est autre que le patron et l’actionnaire majoritaire de la Samir, tentait de négocier avec le gouvernement une sortie de crise du raffineur national. Loin des feux des projecteurs depuis le passage de la Samir dans le giron de sa holding en 2006, le richissime saoudien, âgé de 69 ans, a soudainement fait de l’ombre à Jamal Ba-Amer, DG du raffineur, soumis au silence. La situation est tellement critique que le gouvernement a convoqué le grand patron, l’actionnaire majoritaire, pour justifier la cession d’activité de la raffinerie, croulant sous les dettes, décidée de façon unilatérale le 5 août 2015, sans préavis. Le groupe Corral Morocco Gas and Oil AB, contrôlé par la société Moroncha Holdings Co. Limited, détenue à 100% par le Cheikh Mohammed Hussein Al Amoudi, a racheté 67% de la Samir en 2006, qui étaient détenus par la société suédoise Corral Morocco Holdings AB.
La vache-à-lait
La réunion débouche sur une impasse. Le gouvernement demande au principal actionnaire de passer à la caisse. Ce dernier refuse d’abandonner la tétine de sa vache-à-lait. Non seulement il ne veut rien débourser, mais il a également cherché une recapitalisation de la société, en puisant, une fois encore, dans les fonds des banques locales. L’homme d’affaires saoudien s’est lancé dans une partie de chantage, vu la sensibilité de l’affaire: la Samir emploie 1.000 salariés et doit de grandes sommes d’argent à l’Etat et à ses fournisseurs. Il a voulu jouer la carte de principal approvisionneur. La Samir étant le seul raffineur du pays, et détenant à ce titre plus de 65 % de parts de marché. Ça n’a pas marché. Les distributeurs étaient habitués à importer parce que tout bonnement les prix de la Samir sont chers. Donc pas de pénurie à court terme.
La veille du Conseil de gouvernement du 19 août à Rabat dont le principal sujet de discussion était la Samir, le cheikh Al Amoudi s’est réuni avec le ministre de l’Énergie, Abdelkader Amara, celui de l’Économie et des Finances, Mohamed Boussaid, et celui de l’Intérieur, Mohamed Hassad. Il n’est pas venu avec un plan de sauvetage de la raffinerie, privatisée en 1997 à un prix contesté à l’époque. Les trois ministres ne concèdent rien. Les trous financiers de la Samir doivent être couverts par son actionnaire.
Pour le Saoudien, c’est la désillusion, lui qui cherchait à obtenir des faveurs de l’État comme un apurement de ses arriérés auprès de la douane, qui s’élèvent à 13 milliards de dirhams (près de 1,2 milliard d’euros), et un rééchelonnement de sa dette bancaire et obligataire, qui dépasse les 20 milliards de dirhams, dont une bonne partie est contractée auprès de la Banque centrale populaire. Il a cherché aussi à politiser l’affaire. Mohammed Al Amoudi a tenté de rencontrer en vain le Roi Salmane d’Arabie Saoudite à Tanger, en visite privée au Maroc. Sa demande d’audience fut refusée.
Le scénario de la faillite
Les choses se sont donc retournées contre lui. Dans un communiqué publié le 10 août, l’actionnaire de référence a annoncé son intention de n’injecter que 1,5 milliard de dirhams d’ici à l’assemblée générale extraordinaire de la société du 12 octobre 2015.
Une goutte dans la mare des dettes (43 milliards de dirhams). On donne le feu vert aux institutions marocaines pour réagir. La douane saisit alors les comptes de Corral au Maroc et de ses 30 filiales, l’Office des changes soupçonne des transferts de fonds illégaux… Mais chimère! Trop tard, en tout cas. La Samir était déjà en faillite!
Depuis qu’il a racheté la Samir, Al Amoudi a pris l’habitude d’encaisser des dividendes sans en réinvestir une partie dans la société, ou rembourser les dettes. Les 30 milliards que la Samir a investis sur la période 2004 à 2009 étaient financés par la dette.
En 2014, la société a préparé le marché au scénario de la faillite. La vache-àlait était devenue sans intérêt pour le milliardaire qui travaillait à transférer son argent vers l’Ethiopie et ailleurs. Tout a commencé en décembre 2014. A l’issue d’un premier “Profit Warning”, la Samir reconnaissait une dette envers l’Etat de 27 millions de dirhams. A cette date, la Samir annonçait surtout un résultat net en chute libre passant de 320 millions de dirhams à 3,029 milliards de dirhams en 2013; puis une perte record de 3,4 milliards de dirhams en 2014, sous “l’effet de la contribution négative de la variation des stocks à cause de la baisse des cours du pétrole”.
Des conséquences désastreuses
Quelques mois plus tard, la restructuration générale de la dette de la compagnie avait suscité l’espoir d’un retour à l’équilibre. En février, elle a signé une convention “murabaha” (produit financier utilisé en finance islamique) de 235 millions de dollars avec La Société Internationale Islamique de Financement du Commerce, une filiale de la Banque Islamique de Développement.
Le 29 avril, elle a obtenu un crédit de refinancement à long terme de 1,2 milliard de dirhams de la Banque Populaire. Ce n’est pas tout. Le groupe américain Carlyle lui a accordé une facilité de 350 millions de dollars pour financer ses activités d’import de matières premières. Cela n’était pas suffisant pour éviter la faillite! Le 5 août, contre toute attente, le communiqué de la Samir choque tout le monde: «l’approvisionnement de la raffinerie en pétrole brut enregistrera un retard en raison des difficultés financières de la société. Ce retard entraînera l’arrêt momentané des unités de production», avant d’ajouter, le lendemain: «deux cargaisons de 2 millions de barils de pétrole sont attendues à Mohammedia, entre le 15 et le 18 août 2015, selon les engagements pris par les fournisseurs». Son communiqué, le 10 août, renseigne sur la réticence de l’actionnaire majoritaire à honorer ses dettes. «La direction générale de la Samir informe de la tenue de son Conseil d’Administration le 8 Septembre 2015 afin de convoquer son Assemblée Générale Extraordinaire le 12 Octobre 2015 pour concrétiser l’opération d’augmentation du capital selon le plan de restructuration financière adopté en étroite collaboration avec tous les partenaires», indique-t-il. Finalement, c’était un conseil pour rien.
En 1997, dans le cadre de la privatisation, l’Etat a vendu la Samir à un prix contesté (car en deçà de la valorisation réelle de la société) et a depuis, financé la mauvaise gestion des nouveaux actionnaires qui n’ont pas hésité à fermer la première raffinerie du Maroc (datant de 1929) de Sidi Kacem. Une fermeture qui a eu des conséquences désastreuses sur toute une région animée par cette activité économique.