Moi, femme marocaine en 2024

Être une femme marocaine aujourd’hui, c’est incarner un paradoxe vivant.

À l’approche du 8 mars, l’effervescence habituelle de notre rédaction prend une couleur différente. Comme c’est le cas dans toutes les rédactions, agences de publicité, communications et administrations, le sujet de la femme devient central, un rituel annuel où chacun cherche à donner son écho à la célébration de la Journée internationale des droits des femmes. Dans ce contexte, alors que les idées fusent et que les propositions de sujets abondent, mes supérieurs se tournent vers moi avec une tâche claire mais lourde de sens : rédiger une chronique sur ce que signifie être une femme en 2024. Pourquoi moi ? La réponse était aussi simple qu’elle était complexe : dans ce bastion de la presse où les voix masculines résonnent plus fort, je suis la seule femme journaliste. Cette singularité me confère-t-elle le droit, ou même la capacité, de parler au nom de toutes les femmes marocaines ? Puis-je prétendre résumer l’essence de l’expérience féminine en 2024, dans toute sa diversité et ses nuances ? Vivons-toutes déjà en 2024 ?

En effet, je pense que personne ne peut le faire. Être une femme marocaine en 2024, c’est incarner un paradoxe vivant. Je suis l’héritière d’un passé riche de traditions, où les rôles étaient définis par le genre, et en même temps, je suis la porteuse d’espérances d’un avenir où ces carcans seraient brisés. Oui, l’éducation a été ma bataille, et victoire il y a eu. Les statistiques parlent : 58,4% de présence féminine dans l’enseignement supérieur, contre 49,4% il y a seulement une décennie. Chaque diplôme obtenu, chaque réussite académique est une rébellion silencieuse contre un ordre établi qui voudrait nous cantonner à des rôles préétablis.

Pourtant, si l’éducation a été une porte entrouverte sur un monde de possibilités, le marché du travail ressemble davantage à une forteresse. Seules 22,6% d’entre nous y trouvent leur place, une statistique qui révèle non seulement une disparité flagrante mais qui souligne également les préjugés et les obstacles systémiques persistants. La violence, cette ombre qui plane trop souvent au-dessus de nos têtes, continue de toucher plus de la moitié d’entre nous. Ces chiffres ne sont pas de simples nombres ; ils sont le reflet des luttes, des douleurs, des espoirs brisés et des rêves différés de mes soeurs, de mes amies, de mes collègues.

En plus, l’annonce par SM le Roi de la réforme de la Moudawana, axée sur l’enfant et la famille, nous permet de rêver encore plus d’un lendemain meilleur. Cette réforme esquisse l’espoir d’un avenir où chaque membre de la famille, indépendamment de son sexe, trouvera sa place et sa protection dans le tissu social. Un lendemain où chaque femme peut être responsable de sa famille, de ses enfants, où chaque femme peut être libre, autonome et forte.

Dans ce contexte, être femme en 2024 est une expérience de dualité constante. C’est une célébration des avancées réalisées, un appel à la résilience et à la force qui nous caractérisent, tout en étant une lutte incessante contre les barrières visibles et invisibles qui nous entravent. C’est porter en soi la fierté des progrès accomplis et la douleur aiguë des combats qui restent à mener.

Mais au-delà des défis, il y a une lueur d’espoir, inextinguible. J’ ai rencontré, j’ai interviewé et je vois autour de moi des femmes qui refusent d’être définies par des attentes obsolètes. Nous sommes des architectes de notre propre destinée, déterminées à redéfinir ce que signifie être une femme. Nous sommes des étudiantes, des mères, des femmes au foyer, des professionnels de santé, des ingénieures, des créatrices, des leaders ; des preuves vivantes que le changement n’est pas seulement possible, il est en cours.

Ce 8 mars 2024, je rends hommage à la fois à nos victoires et à notre esprit indomptable. Nous sommes l’épicentre d’un Maroc en mutation, un pays qui avance, parfois à tâtons, vers un futur où être femme ne sera plus synonyme de lutte, mais simplement une facette de l’humanité dans toute sa splendeur.

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