La Mauritanie sous pression algérienne pour ne pas rejoindre l’initiative Royale pour le Sahel

Nouakchott prise en tenaille

C'est un secret de polichinelle: pour l’Algérie, il est hors de question que la Mauritanie permette au Maroc de renforcer son ancrage sahélien. Et pour ce faire, elle est prête à user aussi bien de la carotte que du bâton.


C’est stupéfaits que les camionneurs marocains ont découvert, en ce tournant de l’année 2024, qu’il subissaient une surtaxe de 171% à la frontière avec la Mauritanie, après que les autorités de cette dernière ont décidé, de façon tout-à-fait subite, de faire passer les coûts de dédouanement de la charge des camions gros porteur au niveau du point de passage de Guergarate de 70.000 ouguiyas (près de 18.000 dirhams) à 190.000 ouguiyas (près de 48.000 dirhams).

N’ayant appris la nouvelle que sur place, beaucoup ont préféré reprendre le chemin du Maroc pour y écouler leur marchandise plutôt qu’avoir à payer un montant que, de toute façon, ils n’avaient pas en leur possession. Mais au-delà du caractère financier de la chose, cette décision pose avant tout la question sur ses possibles motivations politiques qui, à en croire les observateurs, feraient bien partie de l’équation.

Mesures de rétorsion cavalières
En effet, ils sont de nombreux observateurs à y voir une réminiscence de l’ère Mohamed Ould Abdel Aziz, l’ancien président mauritanien, aujourd’hui en prison pour enrichissement illicite et blanchiment d’argent (la cour criminelle chargée des crimes de corruption de Nouakchott l’a condamné à cinq ans de réclusion ferme, le 4 décembre 2023), ayant eu souvent coutume d’adopter des mesures de rétorsion économiques cavalières à l’endroit des intérêts marocains dans son pays: hausse de 3% des droits de douanes, interdiction des vols de la Royal air Maroc (RAM) à destination de la voisine de Sud, remplacement du personnel marocain dans les succursales d’Attijariwafa Bank et de l’opérateur Maroc Telecom (présent par le biais de Mauritel). Mais Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani? Ne dit-on pas de l’ancien chef d’état-major des Forces armées de la République islamique de Mauritanie (FARIM) et actuel chef d’État mauritanien que lui est plutôt venu avec les meilleures intentions envers le Maroc? Sous sa présidence, en tout cas, entamée en juillet 2019, les relations maroco-mauritaniennes, notamment commerciales, ont repris d’aplomb, avec par exemple désormais la place prépondérante (50%) occupée par le made in Maroc dans le flux des importations marocaines, comme s’en félicitait en novembre 2022, dans un communiqué, l’ambassade du Maroc à Nouakchott.

En novembre 2020, il avait également appuyé, certes à la mauritanienne, c’est-à-dire de façon ambivalente (la fameuse “neutralité positive” de Nouakchott), l’opération qui avait permis aux Forces armées royales (FAR) de dégager le mouvement séparatiste du Polisario d’El Guergarate, qui à partir du mois d’août 2016 tentait d’y bloquer la circulation des biens et des personnes. À cette occasion, il avait notamment eu un appel téléphonique avec le roi Mohammed VI, qui l’avait alors invité à se rendre en visite au Maroc, “son deuxième pays”. Se peut-il qu’entretemps quelque chose ait changé? Une première hypothèse à étudier serait que la Mauritanie chercherait seulement à reprendre (légitimement) le contrôle sur son économie, en favorisant le produit local.


Nasser Bourita et son homologue mauritanien
Mohamed Salem Ould Merzoug. Marrakech, le 20 décembre 2023


Représailles financières
À ce propos, sa loi des finances rectificative, adoptée le 25 juillet 2023 par le Parlement, prévoyait déjà l’augmentation des droits de douanes suivants: 39,23% sur les carottes et les navets, les oignons et les échalotes, les pommes de terre, les choux-fleurs et les choux-fleurs brocolis et les choux de Bruxelles importés entre le 1er janvier et le 30 avril, et 13,73% pour les mêmes produits ainsi que les tomates à l’état frais ou réfrigéré importés pendant le restant de l’exercice. Mais il est également une deuxième hypothèse, celle-là donc d’ordre politique: la pression subie de la part de l’Algérie, qui fait qu’elle doive ménager le chou et la chèvre pour qu’elle contente à la fois le Maroc et sa voisine de l’Est. Alger est ainsi clairement en train de faire des pieds et des mains pour éloigner Nouakchott de Rabat, y allant même de représailles financières: bien que la Mauritanie n’ait pas (encore) officiellement accepté de rejoindre l’initiative du roi Mohammed VI pour l’accès des pays du Sahel (dont elle fait partie) à l’océan Atlantique, l’Algérie a fait fermer son compte de prêt (dont elle disposait depuis mars 1965), et ce à l’instar des mesures prises à l’encontre du Burkina Faso, du Mali et du Niger.

Mais le régime algérien y va aussi de la carotte à côté du bâton: dès le lendemain de la réunion tenue le 23 décembre 2023 à Marrakech pour le suivi de l’initiative royale, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, ordonnait lors d’un conseil des ministres qu’il avait présidé d’oeuvrer à la création d’une zone de libre-échange avec la Mauritanie au niveau du point kilométrique PK-75, où par ailleurs l’Algérie est en passe d’achever les postes frontaliers Chahid Mostefa Ben Boulaïd (au 9 décembre 2023, leur état d’avancement était à 99,3%, selon des indiscrétions du ministre de l’Intérieur algérien, Brahim Merad, en visite sur place). À cela s’ajoute aussi, en parallèle, le projet de construction de la route Tindouf-Zouérat, pour lequel on rappellera qu’un mémorandum d’entente avait été signé en décembre 2021 lors d’un déplacement de Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani à Alger. Mais le fait est que l’Algérie n’a, en dehors des hydrocarbures (93% des exportations), pas grandchose à écouler en Mauritanie, ou en tout cas par rapport à ce que la Mauritanie veut: en plus des produits agricoles, elle est aussi demandeuse en matière de produits manufacturés et de machines et équipements de transport, à se baser en tout cas sur la structure de ses échanges avec le Maroc.

D’où qu’il ne reste pour l’Algérie, à moins de se trouver un secteur privé concurrentiel, que le travail de sape, comme c’est le cas avec le reste des pays du Sahel. Sur le plan officiel, le Maroc n’a pas encore réagi à la décision mauritanienne, mais on peut croire que des négociations se déroulent en coulisses pour que les relations commerciales reprennent leur cours normal, aussi bien au profit du Maroc, de la Mauritanie, qui se voit ainsi établir comme une porte d’entrée vers le reste de l’Afrique de l’Ouest dont elle fait partie, et avant tous les Mauritaniens, les premiers à profiter des produits marocains.

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