LE MESSIE EST ARRIVÉ

Chakib Benmoussa, président de la Commission spéciale sur le modèle de développement

La finalité du nouveau modèle de développement est d’améliorer les conditions de vie des citoyens et redonner des chances égales aux jeunes, pour une meilleure insertion dans la société. Une véritable gageure.

C'est dans les vieux pots, dit-on, qu'on fait les meilleures soupes. Vrai ou faux, le roi Mohammed VI a en tout cas souvent fait, depuis le début de son règne, sienne cette sagesse. Il ne fallait pas, par conséquent, s'émouvoir de sa décision de faire appel à Chakib Benmoussa pour présider la commission chargée de se pencher sur le nouveau modèle de développement national. «C’est 'un enfant de la maison',» commentait, en arabe dialectal, un haut responsable joint aussitôt le très laconique -une seule phrase- communiqué du Cabinet royal officialisant la nomination du concerné, relayé par l’agence Maghreb arabe presse (MAP), dans l’après-midi du mardi 19 novembre 2019.

Un nouveau jalon
C’est ainsi que M. Benmoussa retrouve, après plus de six ans à défendre les intérêts du Maroc à Paris en tant qu’ambassadeur du Royaume dans la capitale française -à partir de mars 2013-, le fil de son ancienne carrière de commis de l’Etat, lui qui fut notamment ministre de l’Intérieur dans les gouvernements de Driss Jettou et de Abbas El Fassi dans la seconde moitié des années 2000.

Car même si le roi Mohammed VI avait bien tenu à préciser dans son discours du Trône du 29 juillet 2019, où il avait annoncé la mise en place de la nouvelle commission à la rentrée, que celle-ci «ne tiendra lieu ni de second gouvernement, ni d’institution officielle parallèle», il va sans dire que son poids sera conséquent dans la prise de décision future. Domaine où M. Benmoussa n’est plus vraiment impliqué depuis, donc, bientôt une décennie; quelles qu’aient été ses attributions en France.

Carte blanche
«C’est un vrai retour pour lui sur les devants de la scène,» poursuit notre haut responsable. M. Benmoussa devra ainsi, à la tête de la commission et de concert avec les membres qui sont appelés à la constituer, contribuer à «poser un nouveau jalon dans notre processus de développement», comme indiqué par le roi Mohammed VI dans son discours du Trône. Concrètement, la commission «devra», selon le Souverain, «prendre en considération les grandes orientations des réformes engagées ou en passe de l’être, dans des secteurs comme l’enseignement, la santé, l’agriculture, l’investissement, le système fiscal» et oeuvrer pour «leur perfectionnement et l’accroissement de leur efficacité». Il ne s’agira pas, pour ainsi dire, «de s’inscrire dans une logique de rupture avec le passé».

«Il importe avant toute chose de faire preuve d’audace, d’esprit d’initiative, d’un sens élevé des responsabilités, lors de la mise en oeuvre des conclusions judicieuses et des recommandations pertinentes qui seront adoptées, seraient-elles difficiles ou coûteuses,» avait souligné le roi Mohammed VI. L’équipe sur laquelle M. Benmoussa pourra compter sera, pour ce faire, constituée de «compétences nationales issues du public et du privé (...) suffisamment outillées pour comprendre les dynamiques à l’oeuvre au sein de la société et aller au-devant de ses attentes», en dehors «de l’expérience et une exigence d’impartialité». Elle aura surtout carte blanche pour agir, puisque le Souverain a insisté sur le fait qu’elle «remplisse son mandat avec impartialité et objectivité en portant à [sa] connaissance un constat exact de l’état des lieux, aussi douloureux et pénible puisse-t-il être». Pour prendre la pleine mesure du travail qui doit être accompli, il faut se mettre à l’esprit qu’il s’agit sans doute du plus grand chantier intellectuel à être lancé dans le Royaume depuis le rapport général du cinquantenaire sur le développement humain, rendu public en décembre 2004 à l’occasion de la célébration du cinquantième anniversaire de l’indépendance.

Une situation d'urgence
«Le moment que nous vivons est même plus charnière que ne l’était celui d’alors, puisqu’actuellement nous nous trouvons véritablement dans l’urgence et que si nous ratons le coche, nous n’aurons potentiellement plus l’occasion de nous ressaisir, » décortique un économiste qui fut de la partie lorsque ledit rapport a été réalisé et qu’on annonce comme un des potentiels futurs membres de la nouvelle commission. Cette urgence, elle avait notamment été mise à l’évidence dans le mémorandum économique «Le Maroc à l’horizon 2040» publié en octobre 2017 par la Banque mondiale et dont un des points saillants avait été que «bien que respectable, notamment compte tenu des perspectives d’un certain nombre d’autres pays de la région MENA (Moyen- Orient/Afrique du Nord), la simple poursuite des politiques et réformes actuelles ne permettrait pas au Maroc de converger rapidement vers les pays les plus avancés au cours de la prochaine génération et de pleinement satisfaire les aspirations de sa jeunesse.»

Le Maroc a ainsi été en proie, ces dernières années, à différents mouvements de protestations, notamment dans les provinces d’Al Hoceima et dans la ville de Jerada, et c’est d’ailleurs dans le contexte de ces mouvements que le roi Mohammed VI a appelé, la première fois, dans son discours d’ouverture du parlement du 13 octobre 2017, «à reconsidérer notre modèle de développement pour le mettre en phase avec les évolutions que connaît le pays».

Soit dit en passant, le Souverain invitait déjà, à l’époque, le gouvernement, le parlement et les différentes institutions et instances concernées «à faire montre d’objectivité en appelant les choses par leur nom, sans complaisance ni fioriture, et en proposant des solutions innovantes et audacieuses; quitte à s’écarter des méthodes conventionnelles appliquées jusqu’ici, ou même à provoquer un véritable séisme politique.»

Un homme de consensus
La décision de désigner M. Benmoussa à la tête de la commission de réflexion sur le modèle de développement prend, à partir de là, tout son sens, puisque tout au long de sa carrière, et ce en dépit de la difficulté de la chose, il a toujours su incarner cet état d’esprit dépourvu de «complaisance» et de «fioriture». Il faut, à cet égard, rappeler que c’est ce qui lui a valu, en janvier 2010, sa mise à l’écart du ministère de l’Intérieur, puisqu’il avait refusé de cautionner les méthodes peu orthodoxes par le biais desquelles le Parti authenticité et modernité (PAM) avait fait sa fameuse razzia des élections communales du 12 juin 2009, où le parti du tracteur avait raflé plus d’un cinquième des sièges alors qu’il venait à peine d’être créé moins d’une année plus tôt -en juillet 2008. Au sein de la «mère des ministères», cela avait suscité un climat délétère puisque certains walis étaient, au contraire, pour l’appui à ladite formation face à la peur d’une déferlante du Parti de la justice et du développement (PJD), et de là M. Benmoussa ne pouvait plus s’éterniser à la tête du département. Ce dernier prendra un peu plus d’une année plus tard, à partir de février 2011, les commandes du Conseil économique et social dont il est le premier président de l’histoire et qui se distinguera par ses rapports de très bonne facture et surtout d’une objectivité rare qui fait dire que son éviction n’avait pas suffi à le faire renoncer à sa nature; ce dont il sera récompensé par son installation à Paris, sans doute la capitale la plus importante au monde pour le Maroc.

Dans la Ville lumière, il gérera notamment avec «un brio certain», assure une de nos sources, l’épisode de la brouille qui près d’une année durant, à partir de février 2014, oppose le Royaume à la France après que la juge Sophie Kheris ait tenté de convoquer au domicile justement de M. Benmoussa, dans la ville de Neuilly-sur-Seine, le directeur général de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), Abdellatif Hammouchi, pour une affaire de torture montée de toutes pièces par l’ancien boxeur Zakaria Moumni. Celui qui fut également, au tournant du siècle, président de la Société nationale de sidérurgie Sonasid et de la zone franche Tanger Free Zone et administrateur directeur général des Brasseries du Maroc est également réputé être un homme de consensus. En cela, il n’est pas sans rappeler le profil de feu Abdelaziz Meziane Belfkih, qui fut successivement conseiller du roi Hassan II puis du roi Mohammed VI jusqu’à son décès en mai 2010 et qui, surtout, fut chargé de la supervision du rapport du cinquantenaire.

Rigueur et objectivité
M. Benmoussa lui doit d’ailleurs sa carrière puisque c’est lui qui poussa pour le ramener au Maroc au milieu des années 1980 après qu’il ait obtenu un Master of Science au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), aux Etats-Unis, pour prendre les rênes de la direction de la planification et des études puis celles des routes au ministère de l'Equipement, avant d’être désigné, en 1995, secrétaire général de la primature -il est également diplômé de l'Ecole polytechnique de Paris et de l'Ecole nationale des ponts et chaussées, également dans la capitale française.

Comme M. Meziane Belfkih au milieu des années 2000, il aura à gérer, au sein de la commission, des profils de «différentes disciplines académiques et diverses sensibilités intellectuelles», comme le souhaite le roi Mohammed VI; chose que, du reste, il a réussi à faire plus de deux ans durant à la tête du Conseil économique et social. Le rééditera-t-il à la tête de la nouvelle commission?.

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