À LA BONNE HEURE !
Le roi Mohammed VI avait dans son discours de la Marche verte, en novembre 2016, annoncé la couleur: “Je veillerai (...) à ce que la formation du prochain gouvernement se fasse (...) suivant une méthodologie rigoureuse”. On ne peut donc pas dire que le Souverain n’a pas tenu sa promesse. Il faut dire que le gouvernement Saâd Eddine El Othmani, nommé le mercredi 5 avril 2017 au palais royal de Rabat, répond largement aux critères fixés dans le discours, à savoir du sérieux, de la responsabilité ainsi qu’un programme clair et des priorités définies. “Le gouvernement est une structuration efficace et harmonieuse qui s’adapte au programme et aux priorités”, tonnait Mohammed VI.
Le programme en question doit bien sûr encore être validé par la Chambre des représentants, chambre basse du parlement, à la suite de quoi le gouvernement El Othmani pourra alors officiellement entrer en fonction; mais l’essentiel est là: il suffit de jeter un rapide coup d’oeil à la liste du nouvel Exécutif pour se rendre compte du changement opéré par rapport au précédent cabinet dirigé par Abdelilah Benkirane.
D’abord, il y a lieu de remarquer l’apparition de “supers ministères”: à titre d’exemple, le secrétaire général du Rassemblement national des indépendants (RNI), Aziz Akhannouch, qui occupe depuis 2007 le maroquin de l’Agriculture et de la Pêche maritime, s’est vu adjoindre les nouveaux départements du Développement durable et des Eaux et Forêts. Même topo également du côté du ministère du Tourisme, qui sera désormais cornaqué par le secrétaire général de l’Union constitutionnelle (UC), Mohamed Sajid, également chargé des portefeuilles du Transport aérien, de l’Artisanat et de l’Économie sociale.
Le ministre de l’Intérieur sortant, Mohamed Hassad, s’occupera, lui, du ministère de l’Education nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, précédemment subdivisé en deux entre Rachid Belmokhtar pour ce qui est du premier département et Lahcen Daoudi pour les trois seconds.
Les compétences privilégiées
Vient ensuite la réapparition du poste de secrétaire d’Etat: on n’avait plus vu cela depuis le gouvernement Abbas El Fassi. Le nouveau cabinet en compte treize. Globalement, pour une fois, la formation du gouvernement n’a pas été “affaire d’arithmétique”, comme le regrettait Mohammed VI dans son discours de la Marche verte. Ainsi, les compétences ont été privilégiées, au point que la part belle est redonnée à des profils purement technocratiques, à l’instar de Abdelouafi Laftit et de Nasser Bourita, respectivement nouveaux ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères et de la Coopération internationale.
Plus, le Parti de la justice et du développement (PJD), dont est pourtant issu M. El Othmani, ne dispose que de quatre ministres pleins dans le nouveau gouvernement, contre cinq par exemple pour le RNI: pour cela, il faut tirer son chapeau au président du conseil national de la formation de la lampe, qui a privilégié les intérêts du pays à ceux plus étroits de son parti. En effet, se rendant compte de l’absence de véritables experts dans son camp, il n’a pas voulu imposer de profils qui n’auraient d’autres qualités que d’être encartés au bon endroit.
Bouillonnement interne
Pourtant, la tâche ayant conduit à la formation du nouveau gouvernement n’a pas été aisée. D’abord, M. El Othmani se devait de recoller les morceaux avec le RNI et l’UC ainsi que le Mouvement populaire (MP) et l’Union socialiste des forces populaires (USFP) qui avaient, au lendemain des élections législatives du 7 octobre 2016, choisi de négocier à quatre et avec lesquels M. Benkirane, chargé jusqu’au 15 mars 2017 de mener les consultations pour la constitution de la future majorité, mettait fin de son propre chef à toute tractation: le Chef de gouvernement désigné en avait besoin, dans la mesure où il manquait au PJD, si l’on compte avec lui le Parti du progrès et du socialisme (PPS), encore 61 sièges à la chambre de représentants. Ainsi, quatre jours après sa nomination, le 17 mars 2017, par Mohammed VI au palais royal de la ville de Casablanca, il entamait sur de nouvelles bases les négociations, en s’ouvrant même au Parti authenticité et modernité (PAM), vomi de partout pourtant de par la nébuleuse islamiste nationale.
M. El Othmani s’en sortait, pour le moins, avec brio, en réussissant ce que M. Benkirane n’était pas, en plus de cinq mois, parvenu à réaliser: dès le 25 mars 2017, le PJD, le RNI, le MP, l’USFP, l’UC et le PPS officialisaient dans une conférence de presse au siège du PJD à Rabat la formation de leur coalition. S’il s’agissait d’une guerre, on aurait sans doute parlé de première bataille remportée. Restait cependant au Chef de gouvernement désigné à négocier les postes ministériels devant échoir à tout un chacun; et c’est là que la donne s’est compliquée le plus: d’une part, il devait faire face au bouillonnement interne dans son parti, dont certains cadors exigeaient de lui de dominer le prochain gouvernement en invoquant, malgré l’absence de véritables profils qualifiés, la première place de la formation aux législatives; par ailleurs, il fallait aussi faire face aux desideratas externes, à savoir ce que chaque membre de la nouvelle majorité voyait comme devant lui revenir.
Comment, dans ces conditions, M. El Othmani pouvait-il s’en sortir? Cela d’autant plus que d’après les médias nationaux, Mohammed VI lui avait fixé, lors de leur entrevue au palais royal de Casablanca, 15 jours au grand maximum pour finaliser la mission dont il avait été chargé.
Les rêves et les réalités
En attendant, les Marocains n’avaient d’autre chose à se mettre sous la dent que les spéculations formulées de part et d’autre et dont, dans l’ensemble, on ne parvenait jamais véritablement à déceler l’origine. Ainsi, tout le monde ou presque est, durant le laps de temps ayant précédé l’officialisation du gouvernement, devenu ministre: des hommes politiques bien sûr, des cadres de l’administration mais aussi des chefs d’entreprises ou toute autre personnalité s’étant distinguée dans un domaine ou l’autre et dont la science pouvait, disait-on, être utile dans les plus hautes fonctions.
Il serait fastidieux de ressasser tous les racontars, mais on a vu, notamment, la présidente de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), Meriem Bensalah Chaqroun, chapeauter le ministère de l’Industrie en lieu et place de son compère Moulay Hafid Elalamy -finalement maintenu au poste-, ou encore carrément le directeur général de la sûreté nationale (DGSN) et de la surveillance du territoire (DGST), Abdellatif El Hammouchi, ministre de l’Intérieur: c’était, pour ainsi dire, prendre ses rêves pour des réalités.
Des fois cependant, le coche ne fut pas vraiment raté: on peut citer, à titre d’exemple, Mohamed Yatim, annoncé à la tête du ministère de l’Emploi et de l’Insertion professionnelle -mais aussi, brièvement, de la Culture et de la Communication- depuis belle lurette, en raison sans doute de son passé syndicaliste (ancien secrétaire général de l’Union nationale des travailleurs du Maroc (UNTM), l’aile syndicale du PJD).
D’autres supputations étaient plus ou moins évidentes: Nasser Bourita ministre des Affaires étrangères, on voyait cela venir, pour le moins, depuis sa nomination début 2016 en tant que ministre délégué au même département. Pour le reste, les élus ont été rares, comme à chaque fois, et les déçus nombreux: d’ores et déjà, de part et d’autre des partis de la nouvelle majorité, la fronde a commencé, notamment au PJD, où certains, à l’instar de Abdelali Hami-eddine, membre du secrétariat général du parti, ont carrément affirmé qu’ils n’étaient plus consultés par M. El Othmani.
Priorités nationales
A l’USFP, après avoir soutenu l’initiative du premier secrétaire de la formation, Driss Lachgar, de s’allier aux islamistes, on demande même désormais la tenue d’un congrès extraordinaire. En filigrane, on finit toujours par trouver, immanquablement, des histoires d’egos atrophiés et de désillusions à n’en plus finir.
Quoi qu’il en soit, de par sa configuration, le gouvernement El Othmani jouira sans nul doute, tant qu’il continuera de s’inscrire dans le cadre du programme pour lequel il a été nommé, de la confiance royale. Il était temps enfin, après quatre ans et quelques de Benkiranisme, que reprennent le pas les questions de priorités nationales et non plus de politique politicienne bonne uniquement à servir les discussions des cafés du commerce.