MISÈRE DE LA POLITIQUE

Mustapha Sehimi

Le cafouillage de M. El Othmani sur la darija


Le statut qu’il faudra bien accorder au dialectal marocain dans le système éducatif doit faire l’objet d’une approche sereine.

La rentrée politique se fait donc sur un débat inédit: celui de la darija. Nous en sommes donc là à la fin 2018! De quoi s’agit-il, au fait? De l’introduction de la darija dans des manuels scolaires. Plus précisément, d’un livre de 150 pages qui contient huit mots de ce parler populaire: briouate, baghrir… Une innovation qui a donné lieu à une véritable levée de boucliers pour le moins étonnante tournant à une forme hystérique faisant rebondir des griefs et des dénonciations qui ont investi les réseaux sociaux et le champ politique.

Le point d’orgue de cette relance a été sans conteste la déclaration du Chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani, à l’agence marocaine MAP, le dimanche 9 septembre. Il invoque plusieurs arguments d’inégale valeur. Le premier a trait à la Constitution, laquelle, en son article 5, consacre au côté de l’arabe l’amazighe comme seconde langue officielle. Qui soutient le contraire? Il invoque également la loi-cadre (art.29) sur l’éducation, examinée au Parlement, qui réaffirme le seul usage de l’arabe. Il en conclut qu’«on ne peut admettre des expressions, des phrases ou des paragraphes en dialecte marocain dans les manuels». Et d’ajouter que cette décision est «irréversible».

M. El Othmani a-t-il tranché? Pas vraiment. Il se retranche ainsi derrière l’avis de spécialistes (éducateurs, linguistes…) avant le retrait éventuel des manuels incriminés –une manière de se défausser. C’est sa gouvernance qui, dans le même temps, se trouve mise à l’index: pourquoi n’a-t-il pas suivi le processus d’introduction de la darija alors qu’il insiste sur la réforme du grand chantier de l’éducation? De même, pourquoi ne décide-t-il pas à titre conservatoire de bloquer lesdits ouvrages déjà en usage dans les écoles? Comme dans d’autres domaines, n’est-il pas de nouveau dans la posture et le déclaratoire, pour ne pas parler de l’incantatoire?

Sa position est en porte-à-faux avec celle de Saïd Amzazi, son ministre en charge de ce département. Publiquement, voici une semaine, ce dernier avait en effet pris position pour assumer le recours à l’arabe dialectal: «La commission d’évaluation, avait-il précisé, composée de spécialistes en didactique des manuels scolaires, n’a constaté aucun motif pédagogique qui empêcherait l’usage de noms issus du dialecte marocain dans des textes de lecture fonctionnels». De quoi susciter les foudres dans les rangs du PJD et du parti de l’Istiqlal ainsi que sur les réseaux sociaux.

La controverse s’est par ailleurs crispée avec les déclarations tonitruantes du publicitaire Nourredine Ayouche, qui s’était déjà distingué voici deux ans par un fervent plaidoyer en faveur de la place à accorder à la darija dans le système d’enseignement. Membre du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique installé en 2015, il s’est distingué dans le champ médiatique, culturel et politique par une capacité d’interpellation considérée comme irrecevable par de larges pans de la société.

Un débat de société, sur des valeurs aussi. Pour un communicant professionnel comme lui, sa dernière sortie sur «la caravane passe et les chiens aboient» n’est pas qu’une maladresse mais surtout l’expression d’une provocation et d’une arrogance jugées intolérables.

Le statut de la langue arabe est-il menacé? Personne ne peut le croire. Son statut est à nul autre pareil: c’est la langue de la révélation du Coran. Mais, pour autant, la darija peut être un dialecte permettant une meilleure assimilation de celle-ci parce qu’il est un facteur décisif et hégémonique de la communication quotidienne, du parler populaire et du lien social; à ce titre, il fluidifie et gère l’essentiel des échanges oraux entre arabophones et berbérophones.

Pareille problématique est-elle correctement appréhendée? Pas tellement. La darija n’est pas à l’assaut de l’arabe mais elle en est une déclinaison populaire. Le statut qu’il faudra bien lui accorder dans le système éducatif doit faire l’objet d’une approche sereine, conséquente, novatrice dans l’optique de programmes étudiés et intégrés.

Le gouvernement peut-il le faire? Il s’est laissé embarquer dans un débat politique de misère, contreproductif, reléguant la clarification des grands dossiers et des stratégies à l’ordre du jour (modèle de développement, pacte social, régionalisation...) Misère d’une politique

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