Mohamed Hbabou: "Les autorités sont dépassées par l'ampleur du désastre"



Le désespoir gagne les habitants d’Imilchil et des régions environnantes. La vague de froid, accompagnée de chutes de neige exceptionnelles et en discontinu, les a acculés à rester chez eux, privés de toute subsistance. Elle a encerclé par ailleurs une soixantaine de nomades portés disparus.

Les habitants du Douar Taourirt ont parcouru des kilomètres à pied sous la neige pour protester contre leur isolement. Ne s’agit-il pas d’une décision risquée?
Vous avez tout à fait raison. Le gros des habitants du douar Taourirt, relevant de la commune Outarbat, au nombre de 40, ont décidé de faire une marche, que je qualifie de «suicidaire », ce matin du mercredi 7 février 2018 vers la province de Midelt pour protester contre l’encavement et l’isolement de leur douar et l’indisponibilité des produits alimentaires et des moyens de chauffage, mais aussi contre l’indifférence et la nonchalance des autorités locales et provinciales et des élus locaux.

Ils devront parcourir 8 km à pied sur un chemin recouvert de neige, faisant face à une température de -5°C, pour arriver à la commune d’Outarbat. Si les responsables de cette commune ne réagissent pas face à leurs doléances, ils continueront leur marche protestataire jusqu’au siège de la province, ce qui veut dire qu’ils vont parcourir plus de 180 km à pied. C’est un suicide.

Mais que voulez-vous qu’ils fassent? Au moins, ils tentent le tout pour le tout car ils risquent de mourir chez eux en l’absence de moyens pour subsister et à défaut de toute réaction des autorités et des élus locaux après plus de 12 jours du déclenchement de cette vague de froid. L’unique épicerie proche du douar est vide. Pas d’aliments, pas de gaz. L’école à proximité est fermée.

Comment expliquez-vous le fait que les 60 nomades portés disparus, habituellement rodés aux conditions difficiles, n’ont pas pu résister à ce climat?
Le souk hebdomadaire d’Assoul, situé à 30 km d’Imilchil, où s’approvisionnent régulièrement les nomades mais aussi les habitants de la région, ne s’est pas tenu depuis deux semaines à cause des chutes de neiges importantes ayant bloqué les routes et rendu impossible tout moyen de transport, qu’il soit moderne et traditionnel.

Ainsi donc, ces nomades ont dû consommer tout ce qu’ils avaient économisé par la force des choses. Quand l’un d’eux, en l’occurrence Aziz Mohri, originaire du douar Aït Ali Ouiko d’Imilchil, m’a appelé le dimanche 4 février 2018, il m’a transmis un message d’alerte en me disant qu’ils n’ont plus rien pour tenir en attendant que les intempéries se calment et que les routes soient dégagées.

Les montagnes d’Amchgar se situent à la frontière entre le cercle d’imlchil relevant de la province de Midelt et le cercle d’Assoul relevant de la province de Tinghir. Les nomades y cherchent de quoi alimenter leurs troupeaux de bétail (moutons et chèvres). Ils ont pris cette destination avant la vague de froid exceptionnelle. Alors, il se sont retrouvés encerclés par la neige, impuissants.

Les chutes de neige étaient continues, atteignant trois mètres de profondeur, rendant la circulation impossible. D’habitude, ils se réfugient dans les grottes des montagnes. C’est ce qu’ils ont dû faire. Mais lorsqu’ils n’ont plus de quoi se nourrir pour résister au froid glacial qui y règne, cela devient sérieusement inquiétant.

Pourquoi n’avez-vous pas engagé des bénévoles pour aller à leur secours comme vous l’avez fait pour sauver 40 autres nomades?
Il a fallu une semaine pour que nos bénévoles, munis de pelles et beaucoup de courage, puissent arriver à la prairie Iguig de la commune Bouzmou où les 40 nomades étaient encerclés par la neige. Une semaine pour un chemin relativement court. Mais pour atteindre les montagnes d’Amchgar, il nous faut parcourir 60km. Ce qui est impossible. Personne ne se hasardera à le faire car il trouvera la mort avant de parcourir le quart du chemin. Nous avons contacté les autorités locales et provinciales, qui nous ont déclaré qu’elles ne ménagent aucun effort pour dégager les routes et les pistes. Même sur ce point-là, elles n’arrivent pas à le faire puisque les chutes intensives dépassent leur rythme de déneigement. Mais, pour sauver les nomades portés disparus, il faut des moyens dont ces autorités provinciales ne disposent pas.

Il faudra des hélicoptères pour les repêcher de ces couches épaisses de neige, voire de la mort certaine qui les guette au fil des heures et des jours. Mais, il faut bien le dire, les autorités sont dépassées par l’ampleur du désastre. Le spectre de la mort plane sur tout Imilchil, ses 71 douars et ses 35.000 habitants. L’unique station service d’Imilchil centre n’est pas approvisionnée en gasoil parce que les routes sont bloquées. De ce fait, même l’hôpital d’Imilchil n’est pas fonctionnel car les moteurs d’électricité et de chauffage et les ambulances manquent de gasoil. Et, sans gasoil, il n’y a pas de transport pour acheminer les produits alimentaires, le gaz, le bois de chauffage… aux habitants des douars de la région.

Les autorités et les élus locaux ne sont-ils pas sensibilisés chaque hiver aux dangers qui guettent la population locale pour réagir en force?
Il est vrai que cette vague de froid et les chutes de neige sont exceptionnelles cette année. Du jamais vu depuis 40 ans. Mais, chaque année, la région est coupée du reste du pays au moment des intempéries. Les autorités et les élus le savent et n’ont jamais anticipé pour se doter d’équipements suffisants et sophistiqués susceptibles de sortir les populations montagneuses de leur isolement qui dure plusieurs semaines.

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