Mohamed Salhi: "L'Algérie a séquestré plusieurs Marocains à Tindouf et en Libye"

Entretien avec Mohamed Salhi, conseiller juridique de l’Association des Marocains victimes de l’expulsion arbitraire d’Algérie (AMVEAA).

46 ans après le triste événement de déportation de près de 500.000 Marocains d’Algérie, les séquelles et les traumatismes causés par le régime algérien sont toujours là. Mohamed Salhi, conseiller juridique de l’Association des Marocains victimes de l’expulsion arbitraire d’Algérie (AMVEAA), revient pour Maroc Hebdo, sur ce malheureux crime contre l’humanité.

En décembre 1975, des familles marocaines ont été arbitrairement expulsées d’Algérie. Pourriez-vous revenir pour nos lecteurs sur cet événement tragique ainsi que sur le contexte historique de cette «marche noire»?
Le 18 décembre 1975, le jour de la célébration du Aïd-el-Kébir, le gouvernement algérien a procédé, sans sommations, à l’expulsion massive et arbitraire, vers le Maroc, de 45.000 familles, soit environ 500.000 Marocains établis en toute légalité sur le territoire algérien depuis des décennies et dont certains avaient pris part à la guerre de libération de ce pays. Cette manoeuvre, mûrement planifiée par les dirigeants de l’époque, à savoir le président Houari Boumédiène et son ministre des Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika, dénommée «marche noire», faisait suite, à titre de représailles, au succès de la Marche verte organisée par le Maroc pour la récupération de ses provinces sahariennes.

L’opération de déportation massive, qui a vu la mobilisation d’importantes forces de l’ordre algériennes (police, gendarmerie, services secrets et armée), s’est déroulée dans des conditions abominables et a été jalonnée de graves violations des droits humains (rafles des Marocains sur les lieux de travail, dans la rue ou des enfants dans les établissement scolaires, séquestrations dans les geôles, expropriations des lieux de domicile, confiscations des biens de tous genres, intimidations, insultes humiliantes, tortures, voire viols sur certaines femmes). Le seul tort des victimes ciblées était d’être marocains. Ils ont été dépossédés, sans vergogne, de tous les biens acquis durement par leur labeur durant des décennies de résidence en Algérie.

Des centaines de familles mixtes ont été disloquées suite à la séparation brutale et forcée des couples maroco-algériens. Ce qui a causé de graves traumatismes mentaux aux enfants et aux conjoints touchés par cette mesure. Les Marocains malades et hospitalisés n’ont pas été épargnés par cette mesure discriminatoire malgré leur état de santé et certains d’entre eux sont décédés durant leur expulsion vers le Maroc.

Des familles de victimes parlent même de séquestration de Marocains dans des prisons secrètes à Tindouf et en Libye et d’exécutions…
Effectivement, certaines victimes ont été séquestrées dans des geôles secrètes puis emprisonnés sans être jugées dans des camps de détention à Tindouf et sur le territoire libyen. Quelques prisonniers se sont manifestés en 2012 en Libye après la chute du régime de Kadhafi. D’autres sont considérés disparus à ce jour et l’Algérie a été interpellée pour connaître leur sort.

L’AMVEAA a été, par ailleurs, informée par les familles concernées, de l’exécution sommaire de certaines victimes marocaines dans des prisons secrètes à Sidi Bel Abbès et Hammam Bou Hadjar, dans l’ouest algérien. Je tiens aussi à rappeler que les familles déportées vers les villes frontalières marocaines, principalement à Oujda et Ahfir, ont été hébergées, des années durant, sous des tentes dressées à la hâte par les autorités marocaines avec le soutien de la Croix Rouge Internationale.

Les victimes de cette exaction arbitraire ont, par la suite, commencé à refaire leurs vies au Maroc avec les faibles ressources octroyées par l’État marocain, qui a intégré la majorité des chefs de familles dans des emplois subalternes de la fonction publique. Cette nouvelle situation, très en deçà du niveau de vie précédent, a entraîné un profond bouleversement dans leur état socio-économique et a laissé de graves séquelles psychologiques dont beaucoup de victimes continuent de souffrir jusqu’à aujourd’hui.

Quels sont précisément les crimes qui ont été commis par l’État algérien dans le cadre de cette déportation?
Les autorités algériennes se sont rendues coupables de dépassements et de violations des droits humains qui ont été qualifiés de crimes contre l’humanité. En effet, le crime de déplacement massif des populations civiles a été intégré par les Nations Unies à la liste des crimes contre l’humanité recensés. Ainsi, le pouvoir algérien est appelé à rendre des comptes pour six principales exactions, à savoir: la déportation massive des Marocains résidant légalement en Algérie, l’atteinte à la sécurité, à la dignité et à la vie des citoyens marocains, en violation de la propre législation algérienne en la matière relative à la protection des étrangers, la non-assistance à personne en danger concernant les malades marocains hospitalisés et qui malgré leur état, ont été déportés de force et certains en sont morts, la commission de viols à l’égard de certaines femmes et jeunes Marocaines, la séquestration et disparition forcée de certains Marocains emprisonnés arbitrairement et enfin l’expropriation et la dépossession des biens mobiliers et immobiliers appartenant aux Marocains expulsés arbitrairement.

Qu’avez-vous entrepris, au sein de l’association, pour aider les victimes à se faire réhabiliter dans leurs droits?
Depuis sa création en 2006, l’AMVEAA s’est évertuée à mettre en oeuvre toutes les actions pouvant conduire à rétablir les victimes dans leurs droits qui ont fait l’objet d’une violation flagrante et planifiée par les autorités algériennes. Nous avons impliqué les instances internationales pour le rétablissement des droits usurpés des victimes et nous avons réclamé à l’État algérien la réparation du préjudice physique et moral infligés aux victimes du fait de ce crime humanitaire perpétré.

Nous avons eu recours aux instances judiciaires internationales pour réclamer la restitution des biens illégalement confisqués par les autorités algériennes et nous avons demandé l’ouverture d’une enquête internationale sur le sort des séquestrés marocains disparus à ce jour. Pour ailleurs, nous avons entamé une poursuite de l’action judiciaire contre l’Algérie par la relance de la plainte de la procédure 15.03 du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies. De plus, nous sommes en train de finaliser, avec un bureau d’experts juridiques internationaux, le dossier de dépôt d’une plainte devant la Cour Internationale de Justice contre l’Algérie pour sa responsabilité dans ce crime contre l’humanité.

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