Mon travail s’inscrit dans une démarche documentaire et artistique

Khalil Nemmaoui, photographe participant à l’exposition “l’Afrique a du génie” Khalil Nemmaoui, photographe participant à l’exposition “l’Afrique a du génie”

Pouvez-vous nous présenter les œuvres que vous montrez dans le cadre de l’exposition “L’Afrique a du génie”?
Khalil Nemmaoui:
J’expose deux séries de mon travail. La première date de 2010 et s’appelle “La maison de l’arbre”. Quant à la deuxième, elle remonte à 2013 et s’appelle “Equilibrium”. Les deux sont assez emblématiques de mon travail photographique, qui consiste à aller sur la trace de l’humain dans son environnement, tout en rejoignant des thématiques dont tout le monde parle telles que la durabilité, l’environnement… Dans cette démarche, je suis plus intéressé par les traces de l’Homme dans son environnement que par l’Homme lui-même. En regardant mes photos, vous constaterez qu’il n’y a jamais personne. Cette idée d’absence est corolaire à celle du silence et donc de la contemplation.

Les photos exposées n’ont pas été spécialement conçues pour cet événement?
Khalil Nemmaoui:
Elles ont été réalisées de façon complètement indépendante. Mais l’Afrique existe forcément dans mon travail. Elle a une dimension matricielle et utérine. Et puis, on commence à se rendre compte, depuis quelque temps, que certains artistes, qui sont en milieu de carrière, commencent à frôler l’universalité, dans l’expression je veux dire, dans la mesure où ils se sont libérés de leurs problèmes identitaires et ethnologiques et commencent à avoir une expression mondiale. La dimension africaine est donc palpable par la terre, les couleurs et par le nom des artistes. Sinon, leur travail est similaire à ce qui se fait aujourd’hui dans le monde.

Pourquoi avoir choisi de dire les choses par la photo?
Khalil Nemmaoui:
Dans ma vie, j’ai été influencé et très touché par des photographes beaucoup plus que par des peintres. J’ai appris à aimer la peinture grâce à la photographie.

Qu’est ce qu’elle a de plus que la peinture?
Khalil Nemmaoui: C’est la possibilité qu’elle a de permettre d’isoler un instant, dans le vrai sens du terme. Par instant, je veux dire la fraction de la fraction de seconde qui ne se répétera jamais. La relation entre cet instant, entre le déclenchement de l’inspiration et le moment où on capture la photo est une relation très intime avec la nature et la lumière. C’est l’ici et maintenant, mais encore plus la prédisposition à le voir et à le capter. Une fois qu’on l’a saisi, il faut le transmettre. Et c’est là que l’impact de la photographie est magique parce qu’on interpelle celui qui regarde et qui commence à devenir sensible à toutes ces choses qu’on lui montre.

Comment définissez-vous votre démarche?
Khalil Nemmaoui:
Mon travail s’inscrit dans une démarche documentaire et artistique. Autrement dit, c’est un travail documentaire avec du recul. C’est à dire que je ne vais pas me contenter de montrer la réalité de manière basique (sujet, verbe, complément). Je vais isoler un élément, le montrer et laisser le spectateur contempler le résultat pour y réfléchir. Cette action se fait dans le temps. En regardant l’oeuvre, dans la durée, il y a des choses qui se déclenchent dans l’esprit du spectateur en donnant lieu à un travail de réflexion.

Comment vous y prenez-vous?
Khalil Nemmaoui:
Je n’en ai aucune idée (Rire). Je ne pars pas avec un concept à la base. Je suis mon intuition et laisse faire l’instinct de déclenchement de l’appareil photo. Je suis incapable de savoir pourquoi je vais photographier un élément plutôt qu’un autre. Une fois que je rentre pour développer les photos, c’est un autre processus qui est en marche. C’est là où je décide de ce qui est bon et de ce qui ne l’est pas. Le côté artistique se définit par l’acte. C’est à lui qu’on obéit quand on décide de prendre une photo…. qui est aussi, quelque part, un acte politique.

Mais il y a toujours une part de vous dans les photos…
Khalil Nemmaoui:
Absolument. Je m’implique complètement dans ce que je fais, sinon il n’y aurait pas de sincérité et encore moins de beauté et d’émotion dans mes photos. Tout ce que je produis sort de moi. Je suis né à la campagne et j’y ai grandi jusqu’à l’âge de 18 ans. Après mon bac, je suis parti en ville et puis en Europe pour terminer mes études. Quand on naît à la campagne, on ne la voit pas dans sa beauté, parce qu’on est dedans et qu’on a envie d’être en ville. Le fait de partir m’a donné du recul pour l’aimer. La photo m’a aidé à me réconcilier avec la campagne. En même temps, elle incite celui qui la regarde à contempler la force de la campagne ainsi que le besoin vital et urgent de la préserver. Parce que ce c’est cette dernière qui va sauver la ville et non l’inverse.

Quel est l’apport de la technologie dans vos photos?
Khalil Nemmaoui:
Je suis l’un des derniers à passer au numérique. Je suis resté attaché à l’argentique par puritanisme. Je n’ai franchi le pas qu’en 2008. Quand j’ai adopté le numérique, je me suis rendu compte que l’outil avait changé et qu’il fallait que je m’y adapte, sinon je serais condamné à produire moins dans la mesure où il était compliqué de continuer à travailler à l’argentique en l’absence de labos et de films. Il fallait faire venir ces derniers de l’étranger et les développer làbas. Aujourd’hui, le numérique a tellement évolué qu’il est devenu incontournable. Il faut toutefois prendre garde à ne pas tomber dans le piège de la surconsommation de cet outil. Il faut user de cette technologie comme d’un simple outil en essayant de privilégier la lumière et de la restituer telle qu’on l’a vue. Le tout, dans le respect d’une éthique photographique. Je veux dire par là de ne pas recourir à la manipulation de Photoshop…la technologie n’est pas censée changer le mode opératoire

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