Najat Razi: le cas Hajar est une affaire de droits humains

Najat Razi, chercheur en sociologie et militante pour la défense des droits des femmes

L’arrestation de Hajar Raissouni a remis sur le tapis la question de la dépénalisation de l’avortement. Quel regard portez- vous sur cette affaire?
En tant que militante pour la défense des droits des femmes, je ne peux que me solidariser avec Hajar Raissouni. Il s’agit pour moi de l’affaire d’une femme victime d’une violation des droits humains, relatifs à son intégrité physique et morale, privée de sa liberté d’une manière abusive.
Cette accusation trouve son fondement dans une loi discriminatoire qui interdit l’interruption volontaire de la grossesse et la pénalise. Il s’agit là du Code pénal, qui date des années 60, qui est actuellement objet de réforme devant le Parlement, et dont le mouvement féministe marocain n’a cessé de revendiquer sa refonte globale depuis les années 90.

L’affaire Raissouni pose le problème du double discours des Islamistes, d’un côté le puritanisme, d’un autre des pratiques en contradiction avec ce qu’ils prêchent...
En tant que militante des droits des femmes, je refuse dans ces circonstances d’entrer dans un débat pareil. En tant que sociologue, je ne peux pas non plus m’avancer à tirer des conclusions sans avoir des éléments précis pouvant fonder un avis. Le débat actuel, à mon avis, ne concerne pas le mouvement islamiste, ni les positions politiques de Hajar Raissouni ou de son entourage. La mobilisation pour la libération de Hajar et de ses compagnons accusés dans la même affaire émane d’un référentiel universel de droits humains, qui considère que seule la femme a le droit de disposer de son corps, et de décider dans tout ce qui concerne sa maternité.

Pourquoi se solidariser avec Hajar Raissouni, qui n’est pas forcément d’accord avec votre combat pour dépénaliser l’avortement?
Notre solidarité avec Hajar ne concerne pas seulement sa personne, mais toutes les femmes qui ont connu, ou qui pourraient connaître le même sort. La question de son appartenance politique ou idéologique ne se pose guère pour les défenseurs des droits humains. La Déclaration universelle des droits de l’Homme ne fait pas de distinction entre les humains ni sur la base de leur nationalité, leur sexe, leur origine, leur couleur, leur religion ou leurs idées politiques. C’est à partir de ce référentiel que je suis solidaire avec Hajar Raissouni, abstraction faite de ce qu’elle peut penser de l’avortement ou de mon combat pour légaliser l’avortement et mettre fin à cette hypocrisie sociale qui n’a que trop duré.

Peut-on s’attendre à l’abrogation de l’incrimination de l’avortement assisté médicalement?
Tout le monde sait que l’avortement est pratiqué quotidiennement dans notre société. Il s’agit d’une pratique sociale courante. Souvent dans des conditions lamentables menaçant la vie de la femme qui a choisi d’interrompre sa grossesse.

Les statistiques montrent que nous avons dans les prisons des femmes qui n’ont commis aucun crime, mais qui ont été jugées et sanctionnées pour avoir interrompu leur grossesse. L’affaire Hajar Raissouni doit nous inciter à multiplier les efforts pour revoir les textes de loi et les rendre plus compatibles avec l’évolution sociale. Nous avons mené une campagne assez vigoureuse de soutien à la jeune fille mineure Amina Filali. Celle-ci a été mariée, malgré elle à la fin 2011, à son violeur. La loi garantit l’impunité au violeur qui accepte d’épouser sa victime. Résultat: le 24 mars 2012, elle a mis fin à ses jours.

Mais la mobilisation qui a été faite autour de cette affaire, malgré le prix fort payé, a joué un rôle primordial dans la réforme partielle du Code pénal en cette période, par l’abrogation de l’article 475.

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