NAJAT ROCHDI: Madame réfugiés syriens

En étant désignée, le 4 mars 2019, conseillère humanitaire principale auprès de l’envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, la Marocaine Najat Rochdi est loin d’avoir hérité d’un cadeau.

D’Oujda aux bords du lac Léman, il n’y a finalement qu’un pas. Mais quand bien même, Najat Rochdi ne l’aurait peut-être jamais franchi. «Je suis quelqu’un de très attaché à mes racines,» nous confie-t-elle sur un ton enjoué, la voix sure d’elle-même, le temps d’un entretien téléphonique d’une trentaine de minutes. Mais c’est donc bien via le fixe de l’Office des Nations unies à Genève, en Suisse, et non en passant par l’indicatif de la capitale de l’Oriental, où elle a vu le jour en juin 1961, que la «Marocaine et fière de l’être» -de ses propres mots- est joignable: celle-ci occupe depuis le 4 mars 2019 le poste de conseillère humanitaire principale auprès de l’envoyé spécial de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour la Syrie, Geir Pedersen.

Sur les réseaux sociaux, la désignation de Mme Rochdi à ses nouvelles fonctions a reçu un flot de commentaires élogieux, notamment de ses compatriotes, pas peu fiers de compter une enfant du pays parmi le gratin des fonctionnaires internationaux. Le diplomate norvégien Jan Egeland, prédécesseur de la concernée auprès de Staffan de Mistura -remplacé par M. Pedersen le 31 octobre-, y est également allé de ses félicitations en qualifiant cette dernière de «compétente». En reprenant le flambeau, Mme Rochdi est pourtant loin d’avoir hérité d’un cadeau: en tant que conseillère de M. Pedersen, elle «présidera le groupe de travail humanitaire du groupe international de soutien pour la Syrie (...) et s’attachera à faciliter l’accès humanitaire crucial et la protection des civils en Syrie en soutenant les négociations humanitaires en coordination avec l’équipe de pays des Nations Unies et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA),» comme le détaillait, lors de son point-presse quotidien du 5 mars, le porte-parole du secrétaire général de l’ONU, Stéphane Dujarric.

Des entreprises délicates
En d’autres termes, Mme Rochdi aura à gérer l’épineux dossier des réfugiés syriens, dont le nombre est estimé à 5,684 millions à fin février, selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR)- et dont beaucoup cherchent à regagner leurs villes et villages d’origine. A ce titre, elle devra rapprocher les vues entre les Etats-Unis et la Russie, qui pèsent de tout leur poids en Syrie depuis le déclenchement de la guerre civile en mars 2011; ce afin que les réfugiés bénéficient de corridors par lesquels ils puissent passer sans être inquiétés par le régime en place du président Bachar el-Assad.

Pas une mince affaire. «Souhaitez-moi d’abord bonne chance,» a, ainsi, réagi, flegmatique, Mme Rochdi quand nous l’avons congratulée pour sa nomination. De la chance, vraiment? Ou plutôt une question de qualités personnelles? En tout cas, Mme Rochdi a eu le temps de prouver qu’elle a les épaules assez larges pour mener à bien les entreprises les plus délicates: depuis mars 2017, elle était représentante spéciale adjointe du secrétaire général de l’ONU, António Guterres, pour la Mission multidimensionnelle intégrée de l’ONU pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) et coordonnatrice résidente de l’ONU, coordonnatrice humanitaire et représentante résidente du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Au pays de Barthélemy Boganda -père de la nation centrafricaine-, Mme Rochdi s’est, ainsi, retrouvée confrontée à la crise humanitaire engendrée par le conflit entre les Musulmans de la Seleka et les anti-balaka chrétiens et qui a fait plus d’un million de déplacés. «Mais pour la Centrafrique je me trouvais sur place tandis que maintenant je suis à Genève,» précise-t-elle. S’attendait- elle à se voir associée à M. Pedersen? «Pas du tout,» répond-elle. «Je pensais qu’on préférerait quelqu’un ayant plus de distance avec le sujet, de moins «engagé» si j’ose dire -ce que je suis, résolument-, du fait de ma condition d’Arabe, proche par le coeur de ce qui se passe en Syrie; mais j’ai appris que M. Pedersen voulait justement quelqu’un de la région, qui soit au fait de ce qui s’y passe.» Justement, Mme Rochdi a déjà travaillé au Levant, et plus précisément au Liban, où elle atterrit au tournant du siècle comme conseillère politique au PNUD.

Son rôle consiste notamment à encourager les pays arabes à recourir aux technologies de l’information et de la communication (TIC) aux fins de développement. «C’était la première fois que j’étais affectée à l’ONU,» se rappelle, une pointe d’émotion dans la voix, Mme Rochdi. «Des dirigeants du PNUD avaient insisté pour que je rejoigne le programme, et c’est ainsi que je me suis retrouvée, en novembre 2001, à Beyrouth, en tant que fonctionnaire de l’organisation la plus importante au monde. Si on lui avait dit, la petite oujdie que j’étais, et que je suis toujours dans le fond, ne l’aurait jamais cru.»

Une femme de gauche
Jusqu’à ses quarante ans, la concernée ne se voit, en fait, pas en dehors du Maroc: elle s’imagine bien femme politique. Elle milite ainsi, parallèlement à sa carrière d’universitaire -elle est titulaire d’un doctorat en mathématiques et en génie informatique et a été professeur à l’École des sciences de l’information (ESI) et au Collège royal-, à l’Union socialiste des forces populaires (USFP). Une femme de gauche, Mme Rochdi? «Absolument,» nous déclare-t-elle. «Je suis très attachée à mes convictions progressistes, et ces convictions ont d’ailleurs toujours, dans une certaine mesure, imprégné ma façon de faire, même si je souligne bien que je ne fais plus partie de l’USFP depuis que je suis membre de l’ONU. Comme vous le savez, nous sommes tenus par notre devoir de neutralité, d’indépendance et d’impartialité. » En tant qu’«ittihadie», Mme Rochdi fait partie, dans le gouvernement d’alternance démocratique de Abderrahmane Youssoufi (14 mars 1998-9 octobre 2002), du cabinet du secrétaire d’Etat à la Poste et aux Technologies de l’information, Larbi Ajoul. Elle s’y illustre par son sens du travail -elle a l’habitude d’enchaîner les journées de 14 heures au bureau- et c’est ainsi qu’au moment de cocher le nom du nouveau secrétaire général du ministère de l’Économie sociale, des Petites et moyennes entreprises (PME) et de l’Artisanat, Ahmed Lahlimi Alami, qui dirige alors ce département, n’hésite pas à la rappeler de son exil libanais: elle devient, en juillet 2002, la première femme à se voir assigner un tel poste au Maroc. «Un véritable honneur,» commente-t-elle. «Il y a beaucoup de femmes qui peuvent assumer les plus hautes fonctions; il faut juste leur donner la chance,» indique Mme Rochdi.

Quand on lui pose la question sur sa plus grande fierté, notre interlocutrice ne cite cependant ni ses présentes responsabilités, ni les précédentes: sans réfléchir, elle donne le nom de ses quatre enfants. «Et aussi mes petits-enfants, puisque j’en ai trois,» ajoutet- elle. Un sens des priorités et de la famille typiquement marocains: si, par la force des choses, elle a dû quitter son pays, ce dernier demeure, in fine, bien en elle...

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