Nizar Baraka donne l'exemple

Abdellatif Mansour

L’Istiqlal veut s’excuser auprès des Rifains d’hier et d’aujourd’hui


Avec son flegme face aux imprévus de la chose politique, le leader de l’Istiqlal n’est pas du genre à fuir les rendez-vous majeurs de son époque.

Chassez l’événement historique, il revient au galop. C’est ce qui nous arrive avec les événements d’Al Hoceima, devenus par extension «Hirak du Rif», depuis leur point de départ, jusqu’à la barre du tribunal en passant par l’affrontement de rue. Quant à la perspective d’un dénouement, elle paraît chaque jour un peu plus complexe. Depuis que la mèche a pris feu, en octobre 2016, le pays entier baigne dans les méandres de ce mouvement qui n’a trouvé de réponse sociale et de mode de traitement politique que tardivement, avec un penchant excessif pour la manière forte et définitivement rédhibitoire. Entre le legs du passé et les défis socio-économiques du présent, les Marocains se perdent en conjectures venues de loin.

L’intervention de Nizar Baraka, secrétaire général du Parti de l’Istiqlal, le 6 juillet 2018, devant un parterre d’adhérents istiqlaliens d’Al Hoceima, apporte un éclairage inédit sur la particularité de cette région et sa gestion politique sur plusieurs décennies. Le leader du PI se dit prêt à présenter des excuses au cas où la responsabilité des membres de son parti était avérée dans les tragédies subies, lors de la révolte du Rif entre 1958-1959. Et d’ajouter que «la réparation collective dans le Rif n’a pas été achevée».

À l’époque, ce n’est pas juste une ville qui était concernée, mais le grand Rif, sur toute sa longueur qui menaçait scission. La répression de ce mouvement a été terrible. Ses traces sont encore vivaces dans les esprits. On en a eu quelques échantillons, lors de la réconciliation nationale, suite aux dépassements majeurs des droits de l’Homme dans les années de plomb, 1956-1999. Certains parmi les victimes de cette époque ont apporté des témoignages poignants. Pour l’histoire, le roi Mohammed V avait fait le déplacement au Caire, en 1960, pour rencontrer Mohamed Ben Abdelkrim Al Khatabi et tourner une page difficile de l’histoire du Maroc. À l’évidence, la leçon n’a pas été retenue. Ceux qui sont restés attachés à cette marocanité historique méritent un hommage particulier. Surtout que cette région, dans son entièreté, a fait l’objet de négligence et de marginalisation programmées.

La boucle était bouclée dans l’amertume, parfois la hargne, voire la haine dans ces visites rapides de la mémoire collective, d’autres faits et personnes sont passés par perte et profit. C’est le cas des militants du «Parti de la démocratie et de l’indépendance», qui a soutenu la révolte du Rif et qui a subi à titre de représailles une véritable épuration politique, à la même époque. Les propos de M. Baraka ont été qualifiés, à juste titre, de courageux. Tel qu’il est connu pour son flegme face aux imprévus de la chose politique, M. Baraka n’est pas du genre à fuir les rendez-vous majeurs de son époque et de son héritage. Il vient de le démontrer par rapport à la révolte du Rif pendant laquelle Ahmed Balafrej était président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, jusqu’à ce qu’il remette les clés à Abdallah Ibrahim, en décembre 1958.

Abdallah El Aroui, grand historien d’envergure mondiale, aime à répéter que l’histoire ressemble à la physionomie du corps humain; lorsqu’un membre malade est mal soigné, il se venge et contamine l’ensemble. Ce n’est pas loin de ce que nous vivons depuis le Hirak d’Al Hoceima et son onde de choc sur toute la chaîne du Rif, voire au delà, notamment dans l’ancienne capitale du charbon, Jerada. Il est bon de rappeler que le mouvement de protestation à Al Hoceima s’était d’abord circonscrit dans la ville, brandissant des slogans à caractère économique et social. Alors qu’il y avait moyen d’engager un dialogue constructif, les forces publiques ont opté pour la violence et pour des poursuites judiciaires qui se sont révélées contre-productives. L’accusation majeure d’appel au séparatisme n’a pas dépassé quelques spécimens de provocateurs inconscients ou manipulés. Quant à l’image d’Al Khatabi, c’est une figure historique marocaine qui appartient à tous les Marocains.

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