Elles sont six personnalités à faire leur entrée au gouvernement, dont quatre sont affiliées à des partis politiques.
Le suspense était encore à son comble en cet après-midi du 9 octobre 2019: finalement, et après 72 jours depuis le discours du Trône du 29 juillet, où le roi Mohammed VI avait chargé le chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani, de procéder à un remaniement, les Marocains ont enfin pu découvrir le visage de leur nouvel Exécutif. Il faudrait, bien évidemment, nuancer ce qualificatif de nouveau puisque au final, sur 23 départements, 14 n’ont pas connu de changement de têtes.
Du reste, trois responsables qui étaient déjà présents dans le premier cabinet de M. El Othmani ont été «promus», si l’on peut dire: Mohamed Ben Abdelkader, jusqu’alors ministre délégué chargé de la Réforme de l’administration et de la Fonction publique, est devenu pleinement ministre et va même figurer au cinquième rang dans l’organigramme du gouvernement, puisqu’il est désormais en charge de la Justice; Jamila El Moussali a elle aussi pris en main un département entier, en l’occurrence celui de la Solidarité, du Développement social, de l’Egalité et de la Famille, après avoir été plus de deux ans durant seulement secrétaire d’Etat chargée de l’Artisanat et de l’Economie sociale; et la secrétaire d’Etat chargée du Développement durable, Nezha El Ouafi, a, pour sa part, hérité du poste de ministre déléguée chargée des Marocains résidents à l’étranger (MRE). Mme El Moussali et Mme El Ouafi peuvent, au passage, sourire, puisqu’elles ont été les seules anciennes secrétaires d’Etat à conserver des fonctions ministérielles: les autres, et qui sont au total de dix, se retrouvent maintenant out, étant donné qu’il n’y a tout bonnement plus aucun secrétariat d’Etat dans la nouvelle architecture gouvernementale.
Critères de “compétence et de mérite”
«Il y avait unanimité sur le fait de resserrer les rangs et, en l’espèce, le nombre de portefeuilles,» confie une source proche des consultations ayant abouti au remaniement. Elles sont donc, à proprement parler, six personnalités à faire leur entrée au gouvernement, dont seulement quatre sont des partisans: la ministre de l’Aménagement du territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville, Nezha Bouchareb, du Mouvement populaire (MP); la ministre du Tourisme, du Transport aérien, de l’Artisanat et de l’Economie sociale, Nadia Fettah Alaoui (RNI); le ministre de l’Emploi et de l’Insertion professionnelle, Mohamed Amakraz, du Parti de la justice et du développement (PJD); et le ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, Hassan Abyaba, de l’Union constitutionnelle (UC).
La fine fleur des cadres
Les trois autres sont de purs technocrates, sans véritable expérience politique: il s’agit du ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb; et du ministre délégué chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Driss Ouaouicha. Ces trois profils souscrivent, toutefois, aux critères de «compétence et de mérite» qu’avait soulignés le roi Mohammed VI dans son discours du Trône.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, M. Aït Taleb n’est autre que le directeur du centre hospitalier universitaire (CHU) Hassan-II de la ville de Fès. Il est considéré comme une sommité de la chirurgie viscérale, qui traite du système digestif. Son travail à la tête du CHU de Fès en avait fait, jusqu’à récemment, un des favoris pour le poste de secrétaire général du ministère de la Santé, dont le précédent titulaire, Hassan Nejmi, avait été limogé le 18 septembre: M. Aït Taleb arrive donc finalement en tant que numéro 1. Pour sa part, Mme Fettah Alaoui fait partie de la fine fleur des cadres entrepreneuriaux du pays, puisqu’elle est depuis janvier 2017 directrice générale de la filiale Finances du groupe Saham, dont le propriétaire n’est autre que son nouveau collègue au gouvernement, le ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie verte et numérique, Moulay Hafid Elalamy. La concernée a notamment été, au cours des deux dernières années, en charge du développement des activités de la holding en Afrique: c’est elle qui, d’ailleurs, avait tiré les ficelles de la vente de Saham Assurances, le 7 mars 2018, au sud-africain Sanlam, contre un chèque de plus d’un milliard de dollars. Dans un secteur aussi technique que l’est le tourisme au Maroc, ses compétences seront ainsi, sans doute, d’une grande utilité.
Une lourde tâche
Enfin, M. Ouaouicha n’est autre que le président de l’Université Al Akhawayn: son parcours n’est pas sans rappeler celui de Rachid Belmokhtar, qui avait également dirigé l’institution universitaire basée dans la ville d’Ifrane entre deux mandats ministériels à la tête du département de l’Education nationale. Formé aux Etats-Unis et plus précisément à l’Université du Texas, dans la ville d’Austin, M. Ouaouicha a notamment été doyen, par le passé, de l’Université Moulay-Ismaïl de la ville de Meknès, avant d’attirer l’attention du roi Mohammed VI, qui le nomme, le 25 décembre 2008, à la présidence d’Al Akhawayn.
C’est grâce à lui que cette dernière avait réussi à obtenir, moins de deux ans plus tard, le prestigieux label New England Association of Schools and Colleges (NEASC). En prenant en main l’Enseignement supérieur et la Recherche scientifique, il aura désormais la lourde tâche de faire du Maroc un pôle universitaire d’excellence et aura notamment pour mission d’implémenter le passage au système du Bachelor, à l’anglo-saxonne, après que le modèle français du LMD (licence- master-doctorat) a montré qu’il n’était pas adapté à la réalité marocaine.
La Jeunesse amadouée
M. El Othmani ne pourra, en tout état de cause, pas dire qu’il n’a pas à sa disposition les profils à même de lui permettre de satisfaire les revendications des Marocains. L’impression qui se dégage de la nouvelle composition de son gouvernement est qu’en dehors des ministères de souveraineté que sont l’Intérieur, les Affaires étrangères et la Coopération internationale et les Habous et les Affaires islamiques, le secrétaire général du PJD a désormais un contrôle plus grand qu’il ne l’avait avant et que n’avait même son prédécesseur, Abdelilah Benkirane.
Ce dernier, qui n’avait de cesse ces derniers mois d’attaquer M. El Othmani sur fond de son opposition à la francisation de l’enseignement des matières scientifiques dans le cadre de la réforme de l’éducatif, a ainsi vu son héritage totalement expurgé: l’alliance qu’il avait scellée avec le Parti du progrès et du socialisme (PPS), ne tient, comme chacun le sait, plus puisque le parti du livre a voté le 4 octobre 2019 son retrait de la majorité -il n’a pas accepté qu’un seul département lui soit dévolu-, et même les membres du PJD qui lui étaient proches, à l’instar de Mustapha El Khalfi, sont désormais hors circuit.
Un héritage expurgé
Aussi, M. El Othmani semble chercher à s’attirer les faveurs de la jeunesse du parti islamiste, plutôt fidèle à M. Benkirane, en faisant nommer M. Amakraz, qui n’en est autre que le secrétaire général: il sera désormais plus difficile de critiquer son gouvernement maintenant que les jeunes y prennent directement part. Enfin, M. El Othmani a pu se débarrasser de Rachid Talbi Alami, désormais ex-ministre de la Jeunesse et des Sports et critique de la première heure du PJD même s’il siégeait à ses côtés au gouvernement.
Au vrai, et si l’on excepte le camp de M. Benkirane, les islamistes apparaissent en dernier ressort comme les grands gagnants du remaniement: au vu de la nouvelle configuration, ils sont les seuls à ne perdre aucun ministère. La chose est, en dernière analyse, logique car le PJD reste le principal parti de la majorité. En ayant désormais à sa disposition tous les moyens pour mener à sa guise l’Exécutif et tenter de regagner la confiance des Marocains.