Le PJD sacrifie son zaïm


Le parti islamiste au pouvoir va-t-il regretter Abdelilah Benkirane ?


Le «parlement» du PJD a refusé, le 26 novembre 2017 à Rabat, de modifier ses statuts pour permettre à son secrétaire général sortant de briguer un troisième mandat. Quelles conséquences sur l’avenir du parti?

Nul doute que le VIIIème congrès du PJD, prévu les 9 et 10 décembre 2017, va marquer un tournant dans la vie de cette formation islamiste et même dans le cheminement de la vie politique nationale. Pourquoi? Parce que le secrétaire général sortant, Abdelilah Benkirane, n’aura pas réussi à solliciter un nouveau mandat de quatre ans. Élu en 2008 puis réélu en 2012, il s’est heurté à la règle–couperet de l’article 16 des statuts, qui ne permettent pas une prolongation. C’est cela qui vient d’être tranché lors de la session du Conseil national de ce parti, les 25 et 26 novembre 2017. Des assises houleuses où plus d’une centaine d’interventions ont eu lieu à propos de ce point précis: modifier ou non cette règle de limitation à deux mandats? Une question qui a été au centre de l’ordre du jour des instances organiques depuis plusieurs semaines.

C’est en premier le 15 octobre que la commission des règlements et des procédures, d’une soixantaine de membres, a approuvé l’amendement de cet article ainsi que de celui de l’article 37, relatif, lui, à l’incompatibilité entre les fonctions de membre du gouvernement et la qualité de membre de droit du secrétariat général. Une majorité de 22 voix s’est ainsi dégagée dans ce sens, contre 10. Ce point est de nouveau examiné par le secrétariat général, en l’absence de Benkirane, et il est décidé, à la majorité, de refuser tout amendement. Saisi à son tour, le conseil national extraordinaire vient de trancher. Par 126 voix contre 101 et 4 abstentions, le «parlement» du PJD vient de se prononcer pour le rejet de toute modification des deux articles concernés (16 et 37). Dans une dizaine de jours, le congrès va entériner ce vote. Quelles conséquences peut-on en tirer? La première a trait à un fait majeur: la division du PJD. Voilà une formation qui pâtit d’une crise depuis plusieurs mois, plus précisément avec l’échec de Benkirane à former un gouvernement et la nomination de Saâd Eddine El Othmani et des membres de son cabinet le 5 avril 2017. Près de huit mois donc où les positions des uns et des autres se sont durcies, débordant le strict cadre organique pour tourner à des controverses publiques fort vives d’ailleurs.

Procès en règle
On a connu, il faut bien le relever, un PJD s’astreignant à plus de discrétion voire même de confidentialité, son parcours historique depuis une vingtaine d’années ayant été passablement heurté… mais voilà que les dissensions deviennent publiques, tournant à l’empoigne. Saâd Eddine El Othmani a réduit tout cela, dimanche 26 novembre, à des «divergences d’opinion qui ont toujours existé»; oui, sans doute, sauf qu’elles n’avaient pratiquement jamais connu une telle externalité couplée à des procès en règle des multiples protagonistes.

Ce qui est au coeur de ce remue-ménage n’est rien d’autre que ce problème: que faire de Benkirane? Quel doit être son statut après le VIIIème congrès? Pour M. El Othmani, ses ministres PJD et désormais une petite majorité du conseil national, il s’agit de lui barrer la route d’un troisième mandat à la tête du PJD. Quelle aurait été en effet la situation du cabinet actuel si Benkirane avait réussi à modifier les statuts de son partit? L’on aurait eu alors une direction de fait de la formation islamiste avec «deux têtes»: celle de Benkirane responsable réinvesti comme leader et celle d’un chef de l’Exécutif affaibli, fragilisé, du fait de sa subordination à ce même parti.

“Soutien critique”
Pour un chef de gouvernement déjà à la peine et dont les huit premiers mois ont été éprouvants (événements d’Al Hoceima, rapport de la Cour des comptes, renvoi de quatre ministres), la fin de partie de Benkirane est un acte positif. Va-t-elle pour autant conforter ce cabinet et sa majorité? Rien n’est moins sûr. Le groupe parlementaire PJD, fort de 125 sièges, soutiendra sans doute El Othmani, mais la «ligne» Benkirane sera encore présente avec une distanciation par rapport aux politiques publiques –le «soutien critique», en somme… Du côté du parti, le capital Benkirane est important, chez la jeunesse islamiste, chez les militants et même, au-delà, chez les électeurs. Le score électoral du PJD tient aussi à des électeurs qui ont voté pour lui d’abord…

Avec M. El Othmani, c’est pratiquement une mutation qui s’opère dans la formation islamiste Un PJD normalisé comme les autres? Banalisé même? Orphelin de Benkirane, n’est-ce pas une pente naturelle vers un nouveau périmètre: celui d’un parti rejoignant la famille des partis dits «administratifs »?.

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